Cxffeeblack - Crédit photo : Erin Kim, @oneofakim7
Cxffeeblack – Crédit photo : Erin Kim, @oneofakim7

Cxffeeblack : rendre le café “black again”

Quand Maurice Henderson a eu envie de faire son propre café avec Cxffeeblack, il avait aussi l’idée de raconter l’histoire différemment. Si le résultat, Guji Mane, semble être d’abord une drôle de combinaison entre le nom d’un rappeur (Gucci Mane) et la région de Guji, en Ethiopie, la blague s’arrête à peu près là.

Avec Cxffeeblack, Maurice Henderson veut rendre le café “black again”, et faire de sa marque un business aussi impliqué pour la qualité de son café que pour améliorer la vie de sa communauté.

Peux-tu nous raconter ton background jusqu’à la création de Cxffeeblack ?

J’ai grandi à Memphis, dans le Tennessee. Plus précisément dans le quartier de Whitehaven, que l’on appelle plutôt Blackhaven car il n’y a plus beaucoup de Blancs là-bas. J’étais un gamin plutôt nerd, toujours le nez dans les comics. Je n’avais pas vraiment conscience d’être Noir en grandissant, jusqu’à ce que j’aille étudier à Chicago. Pour la première fois je me suis retrouvé être la minorité, j’ai découvert les commentaires racistes et les préjugés, ce qui m’a rapidement poussé à rejoindre plusieurs associations anti-racistes.

J’ai aussi grandi en faisant beaucoup de musique, et en arrivant à Chicago j’ai commencé à m’enregistrer. J’allais souvent dans les coffee-shops, pour étudier mais aussi écrire des raps. Pour la faire courte, j’ai aussi réalisé qu’il n’y avait pas non plus beaucoup de Noirs dans ces coffee-shops, alors que le café vient d‘Afrique. 

C’est des souvenirs assez étranges, comme la plupart des gens avec qui j’ai grandi, je pensais que le café était un truc italien, quelque chose comme ça. Ca m’a rendu encore plus curieux.

Tu te souviens de la première tasse de café que tu as bu ?

C’était sûrement à l’Eglise, quand j’étais enfant. Mais la première tasse qui m’a mis une claque, c’était dans un shop qui n’est malheureusement plus ouvert aujourd’hui, Avenue Coffee à Memphis. C’était un latte, avec un café du Burundi et je me souviens très bien de ces notes de fraise. Au point d’avoir demandé au barista ce qu’il avait ajouté ! Ca m’a rendu fou qu’un café puisse avoir un goût de fruit aussi prononcé. 

C’est ce qui t’a donné envie de devenir barista ?

Oh, pendant longtemps je n’ai été qu’un home-barista, tu sais. À la maison, pour les amis, avec une machine à espresso offerte par ma femme pour notre premier anniversaire de mariage.

Et puis je ne suis certainement pas le meilleur barista, jamais tu ne me verras dans une compétition, mes latte sont vraiment nazes ! Par contre je pense avoir un bon palais, j’ai toujours été meilleur pour décrire les choses que pour les faire. Je me vois plus comme un rappeur qui aime le café et qui voit ça comme un moyen de se connecter avec ce qui l’entoure, la nature et sa communauté.

Est-ce que tu vois une connexion entre l’histoire du hip-hop et celle du café ?

Ce que j’adore dans le hip-hop, c’est qu’on parle d’une musique créée à partir de l’histoire de la musique noire aux Etats-Unis. Le hip-hop est né grâce à des gens issus de la diaspora africaine, des jamaïcains ou des latinos qui ont voulu créer une musique qui leur ressemble. Des gens qui ont réalisé que leurs parents avaient tous ces disques de funk, de soul ou de blues et que ça pouvait servir de base à quelque chose de nouveau. 

Et maintenant, le hip-hop est mondial, ça parle à n’importe qui. J’ai lu récemment que la Trap était la musique la plus populaire sur la planète. C’est un peu comme le café tu vois, ça vient des Noirs et ça touche tout le monde. 

D’ailleurs, tu peux nous parler de votre café, le Guji Mane ?

Bien sûr ! Le nom de Guji Mane, c’est un hommage à Gucci Mane, un de mes rappeurs préférés, et à la région d’Ethiopie d’où viennent les meilleurs cafés si tu me poses la question. On travaille avec Kevin Baker, le propriétaire de Ethnos Cofee. Comme personne de mon entourage ne savait torréfier, je voulais travailler avec un pro, et Kevin a été assez fou pour accepter. C’est d’ailleurs le seul Blanc dans Cxffeeblack, et c’est un exemple très cool de ce que l’on peut faire ensemble malgré nos différences, pour le bénéfice de tous. Il a vraiment été au top, mec !

L’idée d’avoir notre café est venue pendant qu’on enregistrait de la musique avec mon DJ. Il a travaillé pour 8ball & MJG, des rappeurs supers connus à Memphis qui ont enregistré avec Three-6 Mafia. Comme moi, c’est un dingue de café. Entre deux séances tu pouvais nous trouver dans les coins plus hipsters de Memphis, et c’était drôle de changer d’ambiance à ce point, de passer d’un studio hip-hop aux coffee-shops à la déco minimaliste. C’est comme ça qu’on s’est dit qu’on pourrait nous aussi faire notre propre café. 

Vous souhaitez en torréfier d’autres ?

Yes, le Guji Mane est un café lavé de Guji donc, mais en ce moment on source d’autres cafés de cette région avec d’autres process, comme un café de Hambela, un naturel. On travaille avec Oromo Coffee Beans. On se renseigne aussi sur des cafés colombiens, produits par des afro-latins. La vision de Cxffeeblack, c’est d’acheter du café aux Noirs, et de la distribuer au sein de la communauté Noire pour reprendre possession de notre Histoire.

C’est excitant, parce qu’on est vraiment en train de se développer et c’est cool de voir autant de gens célébrer leur propre culture et leur histoire. Malheureusement la similitude avec le hip-hop continue, car dans les deux cas la communauté qui en est à l’origine continue de s’appauvrir et d’être oppressée. 

J’ai lu quelques articles parler de Cxffeeblack comme étant à l’origine d’une 4ème vague. Tu partages ce point de vue ?

Pffff mec… je vois beaucoup de personnes parler de telle ou telle vague, je lis même des trucs sur la 5ème ou la 6ème vague. En ce qui me concerne, je m’en fous. Tout ce qui m’importe c’est que personne ne soit mis de côté avec ces histoires de vagues. 

Si on veut nous mettre dans une 4ème vague, c’est cool, mais ça n’empêche pas de regarder dans le passé. On est d’accord que la 3ème vague a élevé le café à un autre niveau. Mais ça a aussi créé un certain snobisme tu vois ? Ma grand-mère devrait avoir honte en entrant dans un coffee-shop aujourd’hui, alors qu’elle est une descendante de ceux qui ont découvert le café, parce qu’elle l’aime avec du sucre et du lait.

On met en avant les gens à l’origine, les producteurs et c’est très bien, mais tout en créant une autre forme de hiérarchie dans les coffee-shops. Essaie d’expliquer aux mexicains qu’ils n’ont pas besoin de cafecito, de dire aux éthiopiens qu’on ne met pas de sucre dans un café… Il y a 1000 manières de boire un café, ce qui est nécessaire est d’être curieux avec le café et de faire la même chose avec les gens ! 

Quand tu as commencé à t’intéresser au café, tu me disais que tu ne voyais pas beaucoup de Noirs dans les coffee-shops. Tu vois les choses évoluer ?

Oui, et c’était vraiment intimidant, comme si tu ne pouvais pas participer au truc si tu n’avais pas tel ou tel matériel. Avec Cxffeeblack, on essaie de faire sauter ces barrières pour que notre communauté prépare plus de café de spécialité à la maison.

Ca demande de faire beaucoup d’éducation, déjà parce que voir le café comme une plante et comme quelque chose de délicieux n’est pas encore trop entré dans la tête des gens.

C’est pour ça qu’on organise des classes qu’on appelle “Brew Up!”, on y invite un maximum de gens autour de nous. Dans ces classes, on essaie d’imaginer un Monde dans lequel le café n’a jamais été colonisé, de le présenter sous son jour le plus Noir possible. Nous-mêmes, quand on a commencé à s’intéresser au café, on a vite cherché à déconstruire tout le storytelling impérialiste du café et cette perspective colonialiste.

Pour le peuple Oromo, en Ethiopie, le café est beaucoup plus qu’une boisson énergisante. Pour eux, c’est une façon de se connecter avec sa communauté, avec la nature ou encore avec Dieu, et donc c’est bien plus puissant que ce que ne voudrait nous laisser croire l’industrie. On essaie donc aussi de présenter le café comme un moyen de s’émanciper, de reprendre une part d’héritage qui nous a été été cachée pendant longtemps. Et c’est magnifique de voir les gens tomber amoureux du café !

On encourage les gens à prendre des grains de café, à les sentir et à s’approprier cette histoire. Depuis, on voit plein de choses se développer, comme par exemple ce donuts shop à côté de chez nous qui ne vend plus que des single-origins d’Ethiopie.

Et dans l’industrie du café, tu remarques une évolution ?

Oh je ne vais pas commencer à citer des gens de peur d’en oublier, mais je vois de plus en plus de Noirs s’investir dans cette industrie. Parmi les personnes qui m’ont inspiré, je peux te parler du propriétaire de Red Bay Coffee à Oakland, en Californie ou de Michelle qui a fondé The Chocolate Barista. Le rêve serait de voir encore plus de Noirs travailler dans le retail du café et donner plus de pouvoir à ceux qui se trouvent en bas de la chaîne, dans les productions.

Ici quand tu es Noir, si tu veux être accepté dans certaines industries, tu dois te montrer plus blanc que tu ne l’es pour avoir une chance de réussir. D’une certaine manière, c’est comme si on devait s’excuser d’être Noir pour être accepté. J’aimerais donc qu’on soit plus nombreux, ça permettrait à d’autres Noirs d’être comme ils sont pour trouver un travail dans cette industrie.

C’est le prochain challenge de Cxffeeblack, pouvoir embaucher plus de monde ?

On est 6 à travailler pour Cxffeeblack, et aucun de nous n’a encore vu la couleur d’un chèque ! Il y a beaucoup de maisons abandonnées autour de nous, c’est vraiment un gros problème dans les quartiers pauvres ici. On vient d’en acquérir une avec ma femme, en réinvestissant l’argent qu’on gagne, avec le rêve d’en faire un espace où torréfier, où donner des cours à des apprentis barista dans la communauté, où montrer aux gens comment faire un V60 ou même juste réaliser une vidéo pour Instagram. Bref, montrer à tous comment faire, et aider les gens de ma communauté à s’élever dans cette industrie ou n’importe quel business digital.

Alors si un jour j’arrive à me payer, j’aimerais montrer tous ces gens qui sont plus talentueux que moi, les aider à créer leur propre business. En ce moment un voisin nous aide avec les tee-shirts, car il veut apprendre comment on fait un tee-shirt. Et je trouve ça génial de permettre ça !

Une partie des revenus générés par la vente de nos tee-shirts est aussi donnée à la filiale de Black Lives Matter à Memphis, et j’espère que tout ça va inspirer d’autres entrepreneurs à créer des business pour soutenir notre cause. Deux de mes associés, Victoria et Dan, se sont retrouvés en prison pour avoir manifesté après le meurtre de George Floyd. Qui les a sorti de prison ? L’argent de Black Lives Matter. Il n’y a pas que nous, on pourrait aussi parler de T.C.E Brewing Compagny qui supporte les activistes de Caroline du Nord où ils sont installés.

Martin Luther King a été arrêté plus d’une trentaine de fois en tant qu’activiste. Qui payait ses cautions ? La réponse est en partie les Noirs qui avaient monté des business et l’aidaient financièrement. Et c’est tout ce que l’on essaie de faire avec Cxffeeblack : être notre propre générateur de profit pour financer l’activisme et aider notre communauté.

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