Delmy Regalado, productrice de café bio au Honduras, Finca La Fortuna
Delmy Regalado, productrice de café bio au Honduras, Finca La Fortuna

Produire du café bio au Honduras, à la Finca La Fortuna

En Amérique centrale, le Honduras bat régulièrement de tristes records : gangrené par le chômage et la pauvreté, le pays se distingue notamment par un taux d’homicide lié au narcotrafic parmi les plus forts au monde. Mais un élément semble venir éclaircir cette morne litanie. En 2011, le Honduras rafle la mise à son voisin guatémaltèque et devient le premier producteur de café d’Amérique centrale, le sixième à l’échelle mondiale. 

Principal moteur de l’économie du pays et gros pourvoyeur d’emplois, le café a progressivement permis d’améliorer le niveau de vie et la sécurité des habitants des zones de production caféière. C’est ce que constate Delmy Regalado, productrice de café bio dans la région d’Ocotepeque, à l’ouest du pays, avec qui nous nous sommes entretenus. « Ici, nous n’avons pas de problèmes parce que les gens ont du travail, ils sont heureux », assure-t-elle. 

Cette Hondurienne passionnée est sur tous les fronts : en plus de diriger la ferme familiale d’une main experte et innovante, elle supervise une coopérative regroupant plus de 200 producteurs, milite au sein d’une association de femmes productrices et souhaite, à travers un projet qu’elle développe avec sa fille, faire découvrir le café de spécialité à la population locale… pour qu’un jour peut-être, elle l’espère, la V60 et la Chemex fassent partie du quotidien des Honduriens !

Bonjour Delmy, il semblerait que la production de café soit une longue histoire de famille chez vous…

Oui, maintenant que mes enfants sont impliqués, cela fait quatre générations que la ferme appartient à ma famille. C’est mon grand-père qui a commencé à planter des caféiers sur ces terres et qui a tout appris à mes parents, avant qu’ils ne se tournent vers la culture de canne à sucre. Notre communauté étant toute petite, mes parents se sont rendus compte que mon grand-père était le seul à produire du café dans la région d’Ocotepeque (à l’ouest du Honduras, proche des frontières du Guatemala et du Salvador, NDLR), ils y ont vu une aubaine et ont remplacé toutes leurs parcelles de canne à sucre par des caféiers. 

Nous avons hérité de leurs terres mais surtout de leur sens du travail, de leur amour pour l’agriculture, pour la tradition, et, bien sûr, pour le café. Aujourd’hui, j’ai trois enfants et je leur transmets chaque jour ma passion, c’est d’ailleurs pour cette raison que ma ferme s’appelle « La Fortuna », car pour moi il n’y a pas de plus grande fortune que la transmission familiale d’une terre et d’un savoir-faire. 

Delmy Regalado, productrice de café bio au Honduras, Finca La Fortuna
Delmy Regalado, productrice de café bio au Honduras, Finca La Fortuna

Malgré l’héritage familial, le café a-t-il toujours été une évidence pour toi ? 

Au fond, oui, mais j’avais besoin de voir autre chose. Je suis donc partie étudier la comptabilité loin de chez moi. Lorsque j’ai obtenu mon diplôme, il y a 15 ans, je suis rentrée et j’ai trouvé un travail en tant que comptable dans une coopérative de café. La passion m’a reprise et ne m’a plus quittée depuis. 

Aujourd’hui, en plus de la ferme, en quoi consiste ton travail exactement ? 

Je suis directrice générale de la coopérative de café Beneficio San Marcos, qui regroupe plus de 200 producteurs de la région et que nous formons à une gestion durable de leurs exploitations à travers de bonnes pratiques écologiques, tout en promouvant, du producteur à l’acheteur, un traitement social juste et équitable. Précisément, mon travail à moi est de mettre en relation producteurs et acheteurs : j’accompagne les producteurs, en particulier les femmes, pour trouver des acheteurs au juste prix et j’aide ces derniers à trouver les cafés qu’ils recherchent, leur assurant la qualité et la traçabilité qu’ils exigent. 

Je travaille aussi à l’élaboration d’un nouveau projet avec ma fille, « Smart Coffee » : nous voulons, à travers des ateliers pédagogiques, apprendre aux gens du coin, et plus largement aux Honduriens, à connaître, préparer et goûter le bon café cultivé juste à côté de chez eux. Toute ma famille est impliquée dans le projet, je suis très excitée ! 

Dégustation de café à la coopérative Beneficio San Marcos, dirigée par Delmy
Dégustation de café à la coopérative Beneficio San Marcos, co-dirigée par Delmy

C’est génial, bonne chance pour ce super projet ! Et donc, j’ai cru comprendre que tu étais très engagée auprès des femmes. Comment la solidarité entre productrices de café s’organise-t-elle ?

Nous nous entraidons beaucoup. Il existe des dizaines d’organisations au Honduras qui soutiennent les femmes productrices. Il faut dire que nous sommes de plus en plus nombreuses ! Quand j’ai commencé la caféiculture en 2004, je me sentais un peu seule en tant que femme, mais aujourd’hui c’est très commun, les femmes s’impliquent de plus en plus dans les fermes familiales, et on leur laisse plus facilement la place. Et puis, nous sommes bien organisées ! Moi par exemple, je suis membre de l’association AMPROCAL, un collectif de femmes productrices de café dans ma région, au sein de laquelle je vends mon café. Je suis aussi présidente de la section Honduras du IWCA Chapters, un réseau international d’organisations valorisant le rôle des femmes dans l’industrie du café. J’ai eu la chance de bénéficier du soutien de ma famille lorsque j’ai commencé ma propre ferme, en particulier de ma mère – une femme très forte qui n’a jamais douté de mes capacités –, or je sais que ce n’est pas le cas de toutes ici, nous devons nous serrer les coudes… et franchement, ça marche !

Alors justement, dis-nous tout sur ta ferme qu’on a très hâte de découvrir ! 

La Fortuna est une toute petite ferme de 3,4 hectares située sur le col de Pashapa, à 1520 m d’altitude. Nous y cultivons actuellement les variétés de café arabica Pacas et Catuai, avec un rendement de 25 sacs de 69 kg par hectare. J’essaie d’introduire régulièrement de nouvelles variétés en toutes petites quantité pour voir ce que ça donne. 

Le type de sol est volcanique et nous produisons un café d’ombre avec des caféiers cultivés sous une canopée, dont les arbres sont majoritairement constitués d’orangers, de bananiers, de citronniers et de pins. 

Au niveau des méthodes de séchage, on utilise la voie lavée pour 90% de nos cafés, et le honey process (méthode mixte entre sèche et lavée, ndlr) ainsi que la fermentation anaerobie nature (les cerises de café tout juste récoltées sont placées dans des barriques en plastique fermées hermétiquement pendant un ou deux jours avant d’être séchées naturellement sur des lits africains, ndlr) pour les 10% restants. 

En tasse, on a un profil plutôt citrique avec des notes d’agrumes/orange pour nos cafés lavés, et pour les autres, un profil plus sucré, crémeux avec des notes de sucre de canne et de caramel. Ah et ma petite fierté… Un score de 84/100 au cupping test de la SCA (Specialty Coffee Association, il s’agit d’un protocole d’évaluation précis et reconnu permettant de noter la qualité globale d’un café. Au-delà de 80, les standards de la SCA estiment qu’il s’agit d’un café de spécialité). 

Enfin, la ferme est certifiée biologique et commerce équitable. 

Le café bio est encore assez rare sur le marché, même dans le café de spécialité, pourquoi d’après toi ?

Je pense qu’il y a plusieurs raisons. Déjà, on le sait, produire bio est loin d’être facile : moins de rendements, des certifications longues et coûteuses à obtenir, il faut mettre en place des mesures compliquées de traçabilité… Et puis les coûts de production augmentent, notamment en terme de main d’oeuvre, puisque nous devons payer des ouvriers pour désherber. Le glyphosate, c’est moins cher ! Les producteurs ne sont donc pas du tout encouragés à passer au bio, surtout lorsqu’on sait que la certification biologique n’est quasiment pas prise en compte dans le prix d’achat du café vert. 

Encore aujourd’hui, le tarif est fixé presque exclusivement en fonction de la note du café. Le problème, c’est que la relation entre café biologique et qualité en tasse n’est pas prouvée. Certains disent que les cafés bios sont meilleurs, mais pour l’instant rien ne permet de l’affirmer scientifiquement. En tout cas, même si les choses commencent à changer avec le café de spécialité, je pense que notre travail en tant que producteur éthique devrait être mieux reconnu et rémunéré.

Qu’est-ce qui te motive, toi, à produire du café biologique en dépit des contraintes ?

Déjà, depuis que mon grand-père a planté son premier caféier, ma famille n’a jamais utilisé d’intrants, seulement de l’engrais biologique. Donc ça a toujours été une évidence. Je mets un point d’honneur à prendre soin de la planète, de la santé de ma famille et de tous ceux à qui je vends mon café. En refusant d’utiliser des produits agrochimiques dans notre plantation, nous protégeons les autres et nos terres, alors même si c’est parfois difficile, je trouve que ça vaut le coup. La production de café biologique n’est possible que si on réfléchit en terme de valeurs et non de business car encore une fois, la plupart du temps, elle n’est pas rémunératrice… 

Espérons que les choses changent rapidement ! Pour finir sur une note acidulée, c’est quoi ta routine café ?  

Ce que j’aime boire au quotidien, c’est un blend de nos cafés Pacas et Catuai par voie lavée, préparé en V60 ou en Chemex. C’est clean, sucré (cassonade) et fruité (agrumes) juste comme il faut… C’est vraiment ce que je préfère.