Charlene et Ward de WAY Coffee Roasters
Charlene et Ward de WAY Coffee Roasters

WAY Coffee Roasters : un nouveau score pour le café de spécialité ?

Après Javry à Bruxelles, le Belco Euro Tour #01 a continué sa route jusqu’à Gand. Nous y avons rencontré Charlene de Buysere et Ward De Corte, les fondateurs de WAY, dans leur local de torréfaction et coffee-shop au Dok, au nord de la ville.

Avant de fonder WAY et que Ward en devienne le torréfacteur, Charlene a été barista et s’est lancée dans la compétition avec un beau palmarès. Elle est championne du Monde Aeropress 2012 et championne de Belgique pour la Brewer’s Cup en 2014 et Barista en 2011.

Ensemble, nous avons longuement parlé de leur définition du café de spécialité, de son futur et de ce que recherchent les clients de WAY quand ils viennent boire ou acheter un café chez eux.

Pendant 10 jours, Le Filtre a suivi Nicolas Pourailly pour la 1ʳᵉ édition du Belco Euro Tour, à la rencontre de 10 torréfacteurs européens pour coconstruire le café de spécialité de demain. Interview éditée par Le Filtre.

Bonjour à vous deux ! Pour vous, qu’est-ce que le café de spécialité aujourd’hui ?

Charlene : C’est un café fondé sur la qualité, selon un certain score de plus de 80 points quand il est évalué par les professionnels. Mais, c’est aussi une expérience à partager, une envie de découvrir de nouveaux cafés et l’histoire qu’il y a derrière une tasse.

Est-ce que c’est durable aujourd’hui ?

Charlene : Savoir si c’est vraiment durable, c’est difficile, car même dans le café de spécialité, on ne sait pas toujours comment le fermier a réellement travaillé à la ferme. En tant que torréfacteur, on fait du mieux qu’on peut en achetant de bons cafés.

La qualité d’un café est-elle votre critère d’achat numéro 1 ? 

Charlene : Tout commence par l’équilibre. Si tu goûtes une bonne tasse de café, que cette tasse est bien équilibrée, cela veut dire que le fermier sait ce qu’il fait. La tasse parle pour elle-même.

Le café doit être agréable, et avant qu’il soit sur nos étagères, on sait à qui on achète ce café. Quand les traders nous envoient des samples sans les connaître, on va goûter, mais on a envie de communiquer avec eux, de savoir qui est le fermier, ce qu’il fait à la ferme. Ce serait très étrange d’acheter un café sans aucune de ces informations.

Ward : C’est très important de pouvoir faire confiance à un partenaire comme Belco. C’est un très bon exemple d’importateur qui visite les fermes, les stations de lavage, et qui connait la qualité de ce qu’il importe en Europe.

Charlene : Si j’étais consommatrice, j’aimerais savoir quelle est la motivation du fermier. Ce qu’on voit principalement sur les paquets, ce sont souvent les faits : l’altitude, le process. C’est super basique. Avec ces informations, tu ne connais pas vraiment la personne qui a fait ce café, tu ne ressens pas la ferme.

Est-ce que vos clients aimeraient savoir comment fonctionne une ferme ?

Charlene : Je pense que oui, à condition que ce soit dans un langage compréhensible. Les gens doivent pouvoir différencier une bonne et une mauvaise ferme.

Par exemple, un client ne voit pas toujours l’avantage de cueillir les cerises à la main. Il voit ça comme un travail pénible qui pourrait être automatisé, avant d’être un critère de qualité pour le café qu’il va boire. Il s’agit en réalité de savoir quelles cerises sélectionner pour avoir le meilleur café possible à la fin.

C’est pourquoi on essaie toujours de développer l’histoire des cafés sur notre site, où il est plus facile de donner plus d’informations à ceux qui les recherchent.

Que recherchent vos clients en achetant du café de spécialité ?

Ward : Une expérience. C’est vraiment la 1ʳᵉ chose qui me vient en tête. Nos clients expérimentés veulent une nouvelle expérience à chaque fois.

Charlene : Si Ward est dingue d’un nouveau café et qu’il en parle à nos clients en avant-première, je peux être sûre que tout est vendu avant que les cafés soient en magasin. L’enthousiasme du torréfacteur est contagieux. Les clients te connaissent et te font confiance.

Parlez-vous des impacts sociaux et environnementaux à l’origine avec vos clients ?

Ward : On explique que les cafés naturels utilisent moins d’eau dans le pays d’origine, et que ça ne peut être qu’une bonne chose. Mais, parfois, c’est aussi difficile de demander un café naturel à un fermier dans un pays où ce n’est pas la façon de faire habituelle.

Pensez-vous que les enjeux sociaux et environnementaux sont clairs pour eux ? 

Charlene :  Je n’en suis pas sûre. Si les clients savaient que leur café pourrait disparaître l’année suivante, je pense qu’ils s’intéresseraient plus à ce qu’ils achètent.

Il y a 9 ans, je suis allée au Guatemala et ça m’a ouvert les yeux sur le changement climatique. La ferme que je visitais était frappée par la rouille du caféier. Le producteur allait produire une seule tonne de café, plutôt que 10 tonnes comme les années précédentes.

La maladie s’était déplacée jusqu’à la ferme voisine. Il se sentait très coupable de cette situation, et les deux producteurs cherchaient à collaborer, en créant une coopérative, pour que les deux récoltes soient partagées.

C’est pour cela que savoir qui est le fermier et avoir du contexte quand on achète un café est important, pour le transmettre ensuite aux clients et qu’ils connaissent son histoire.

Que pensez-vous d’un indicateur qui montrerait les pratiques agricoles d’une ferme ?

Ward : Si on voulait donner un indicateur, il faudrait prendre soin à ce que celui-ci ne se perde pas au milieu d’autres labels. Il y en a tellement aujourd’hui, je crois que les gens ne les regardent plus.

Charlene : On a tous des exemples de cafés incroyables et qui ne sont pas produits dans la ferme parfaite. Par contre, je crois qu’en tant que producteur, tu dois avoir la connaissance pour t’adapter au changement climatique.

C’est là que se trouve le futur du café de spécialité, dans cette capacité à s’adapter. Si les producteurs veulent continuer à faire du café de spécialité, il faut avoir les connaissances et l’envie de faire du café de spécialité pour garder ses qualités.

Du côté du consommateur, je pense qu’acheter simplement du café de spécialité est déjà super pour aller dans le bon sens. Mais, en tant qu’acheteur et torréfacteur de café vert, savoir que toutes les tasses sur une table de cupping remplissent les conditions à respecter sur une ferme aujourd’hui, compte tenu du contexte climatique, serait assurément encore mieux.

Communiquer l’empreinte carbone de vos cafés aurait-il de la valeur ?

Ward : Personnellement, je ne pense pas qu’on le montrerait au consommateur sur le paquet. Je crois vraiment que trop d’informations sur le paquet les perdrait. Mais, ça pourrait être ajouté avec les autres indicateurs sur les pratiques de la ferme et sur notre site, où l’on raconte beaucoup plus de choses.

Est-ce que financer des projets à l’origine, pour améliorer une ferme et ses pratiques, motiverait vos clients lors de leur achat ?

Charlene : On a quelques cafés que les gens adorent. Ils seraient très mécontents qu’ils ne soient plus disponibles. Payer un peu plus pour être sûrs d’avoir encore ces cafés l’année prochaine, et qu’ils soient meilleurs que l’année précédente. Je suis certaine que ça les intéresserait.

Pensez-vous que les consommateurs, aujourd’hui, achètent du café de spécialité par conviction ?

Ward : Non, ils veulent surtout le goût. Savoir qu’ils financent des projets, je pense que ça leur apporterait de la perspective. Mais pour être honnête, je ne saurais pas par où commencer, ou comment commencer.

Je ne pense pas qu’on doive demander toujours plus au consommateur. Lui dire qu’en achetant des cafés qui viennent de chez WAY Coffee Roasters, il est déjà en train de faire quelque chose, c’est déjà bien.

Quel est pour vous le futur du café de spécialité ?

Charlene : Le café de spécialité, c’est avant tout un grand gap en qualité, comparé à ce que la majorité des gens connait du café aujourd’hui. Je pense que ce gap de qualité va devenir de plus en pus grand. Et si tu veux de la qualité, il faudra payer le prix pour avoir de bons cafés de spécialité.

Par exemple, on avait l’habitude d’acheter un très bon café éthiopien à 10 € le kilo. Maintenant, on l’achète autour de 20 € le kilo. Tous les ans, le prix du kilo augmente. Jusqu’où les gens seront prêts à payer pour un paquet de café ?

Ward : Toutes les personnes du café de spécialité vont devoir sortir leurs meilleures cartes. Avec l’augmentation des prix, personne ne pourra se permettre la moindre erreur !

Dans votre vision, le score du café de spécialité est-il toujours aussi important ?

Ward : Moi, j’ai l’idée d’un score qui serait 100 + 10. La tasse serait toujours notée sur 100, comme c’est le cas aujourd’hui, et tout ce qui concerne les impacts sociaux et environnementaux sur 10. Un café noté 88 produit sans prendre soin de l’environnement serait 88 + 0, là où un 82 pourrait être noté 82+9.

Cependant, je suis aussi presque sûr que tous les gens qui boivent du café de spécialité aujourd’hui ne savent pas qu’il est de spécialité parce qu’il a obtenu un score d’au moins 80 sur 100.