Distribution de matériel scolaire par la Coopérative Terra Noun
Distribution de matériel scolaire par la Coopérative Terra Noun

Terra Noun : le café de spécialité au Cameroun contre la pauvreté et l’exode rural

Au Cameroun, la coopérative Terra Noun compte bien faire du pays une origine qui compte pour le café de spécialité.

Mais au-delà de produire un café toujours plus qualitatif pour y parvenir, son fondateur Soulé Fondouo a aussi une autre idée : profiter du café de spécialité pour revitaliser son village, la nature qui l’entoure et offrir de meilleures conditions de vie à ses habitants.

Quand as-tu fondé la coopérative Terra Noun ?

En 2013, quand j’étais étudiant en Sciences Politiques, à Paris. Je venais de découvrir le café de spécialité et pendant mes vacances au Cameroun, je me suis rendu compte que le village était devenu mort. Tout le monde était parti travailler en ville sauf les femmes et les enfants qui continuaient de s’occuper des champs. En revenant au Cameroun, je me suis rendu compte de l’échec des politiques agricoles et des nombreuses difficultés économiques du pays. Le village s’était appauvri, et connaissait aussi pas mal de drames familiaux.

J’ai grandi dans une famille de caféiculteurs, un peu plus bas que le village de Mbamkouop dans la région du Bamoun. On ne produisait que du café “mainstream”, j’avais l’idée du café qu’on récolte à la va-vite, séché et vendu comme on peut. Et surtout, au prix que l’intermédiaire qui a bien voulu venir jusqu’au village propose !

Cela t’a donné envie de rester au Cameroun pour t’investir dans le village ?

Le déclic, ça a été de revoir une ancienne camarade de classe, qui m’a raconté ses problèmes de couple. Son mari avait quitté la plantation de café pour aller travailler en ville. Avec elle, on s’est souvenu que la joie était partout dans le village quand la production de café était encore attractive. On avait même une équipe de foot de Première Division, qui s’est effondrée en même temps que le prix du café. 

Alors on a eu l’idée de relancer la production de café, parce qu’il force les gens à rester au village. Si tu investis dans le café, tu investis dans le village car il faut être présent tous les jours. On a connu la douloureuse expérience des programmes gouvernementaux pour produire du maïs ou des haricots, mais ce sont des productions saisonnières, des investissements sur des produits et pas sur le village. J’ai donc fondé Terra Noun pour promouvoir nos produits, mais aussi dans l’idée de développer le village et le rendre de nouveau attractif grâce au café.

On n’a pas l’habitude de parler du Cameroun quand on parle de café de spécialité. Pourquoi ?

Tout vient de la politique de privatisation et de libéralisation imposées par le FMI et la Banque Mondiale aux pays d’Afrique à la fin des années 80. Ça a entraîné la fermeture des coopératives, qui soutenaient la production et assuraient le contrôle qualité des plantations.

Avec la libéralisation, n’importe qui pouvait exporter du café. Les exportateurs pouvaient mélanger le mauvais café et le bon café, acheté au même prix que le mauvais. Alors toute la production a fini par se dire qu’il n’y avait aucun intérêt à faire des efforts ! C’est ce qui a détruit la filière, et c’est de là que vient cette réputation du café au Cameroun, du café fait pour l’industrie et pas pour l’épicerie fine. 

Cette réputation est aussi entretenue par certains importateurs, qui préfèrent tirer profit du café le moins cher à 18 jours de bateaux du Havre et d’Anvers plutôt que d’importer notre café de spécialité. Quand un torréfacteur de café de spécialité a dégusté et apprécié notre récolte, en 2016, il n’a pas pu faire venir notre café du fait de son importateur. 

Le café est d’abord un produit d’exportation au Cameroun ?

Oui, on n’est pas consommateurs de café. C’est un produit de Blancs, un héritage colonial contrairement à l’Éthiopie. Au Cameroun, on appelle l’Arabica le “kafé ná sará”, le café de l’occidental. Les premiers caféiers ont été introduits en 1913 par les allemands, alors que les Hauts Plateaux du Bamoun, d’où je viens, étaient encore une monarchie. 

Mbamkouop est d’ailleurs un symbole de cette histoire. Quand NJoya, le roi des Bamouns, a renoncé à faire la guerre aux allemands, ils lui ont offert en signe d’amitié des grains d’Arabica, de variété Typica, qui venaient de Jamaïque. Les allemands lui ont dit que Mbamkouop était le terroir idéal pour cultiver le café. Ils n’avaient pas tort, plus d’un siècle après ces arbres poussent encore !

Et donc, les premières plantations étaient des plantations coloniales, pour produire du café à exporter. Les camerounais n’étaient que les petites mains de ces plantations, jusqu’aux vagues d’indépendance dans les années 60 où les camerounais avaient tous leur plantation privée. 

Chaque camerounais a donc du café dans son jardin, même s’il n’en consomme pas ?

Voilà. Avant que la Première Guerre Mondiale n’éclate, les allemands voulaient augmenter la production de café. Mais il y avait un souci de qualité, alors ils ont offert des grains à tout le monde, parce que s’il était impossible de produire du café de qualité à grande échelle, les camerounais pouvaient en produire un peu dans leur jardin. Ainsi, ils allaient apprendre à aimer la plante, et alors mieux s’en occuper dans les grandes plantations.

Mais c’est quand les français et les britanniques arrivent en 1918 que les camerounais s’approprient vraiment la culture du café. En fait, le café devient à ce moment un outil d’expression politique, une sorte de défi lancé aux colons. Quand les français ont gagné la guerre, ils ont exilé notre Roi et ont aussi interdit la culture du Typica pour la remplacer par la culture du Java, en provenance d’Indonésie. Produire du Typica dans son jardin était une marque de rébellion. C’est pour ça qu’aujourd’hui, au Cameroun, le Java se trouve principalement dans les grandes plantations, et le Typica dans les jardins.

Et au sein de la coopérative, comment sont organisées les plantations ? 

On produit du Typica, du Java, mais aussi une variété que l’on appelle Namadame, issue du croisement naturel entre le Java et le Typica. Ce sont des cafés doux, uniquement récoltés à la main. Après la récolte, les cerises sont lavées, dépulpées et séchées sur un lit de séchage entre 13 et 15 jours. Le Namadame est une variété plus résistante qui représente bien l’histoire du Cameroun et du café.

Une tasse de Namadame, c’est des notes de chocolat et un arrière-goût de raisin sec, avec un fruité pamplemousse et un score de 84+ selon les critères de la SCA. En 2013, notre café avait reçu une note de 75/100 aux tests de dégustation, et en 2017 4 micro-lots avaient reçu la note de 82 et 83.

Petit à petit, on améliore donc la qualité de notre café mais aussi le matériel. Nos parents séchaient le café sur des aires cimentées, où ils séchaient aussi des haricots, du maïs, du manioc… ce qui jouait beaucoup sur la qualité du café. Depuis deux ans, on a investi dans des lits africains pour bien sécher le café.

Au début de la coopérative, en début de saison, les enfants aidaient leurs parents à dépulper puis laver le café. Cela rendait l’école plus difficile, alors on a investi dans nos dépulpeuses. On a pris les anciennes dépulpeuses manuelles, et on a ajouté un moteur. On a gagné du temps pour traiter le café et on a libéré du temps d’étude pour les enfants. Et en plus, le café étant dépulpé et lavé plus vite, il est de meilleure qualité. Tout le travail post-récolte est maintenant internalisé au sein de la coopérative, et chaque producteur est autonome de la gestion de la plantation jusqu’aux grains de cafés verts. 

Les femmes sont la principale main d’oeuvre dans les plantations africaines, et notre village ne fait pas exception. On essaie de faire de la pédagogie, d’inculquer aux caféiculteurs l’idée du partage des tâches au quotidien, notamment avec l’amélioration des techniques : par exemple, le dépulpage n’est plus réservé qu’aux mecs et la cueillette aux femmes depuis que nous avons amélioré nos dépulpeuses.

Comment décrirais-tu les plantations de la coopérative ?

J’ai vite voulu donner la priorité à des plantations polyculturelles, parce que la monoculture ne permet pas de faire du bio aussi facilement. Et considérant que le Monde a besoin de plus en plus de terre pour nourrir sa population, nous ne pouvons pas nous permettre de consacrer des terres pour ne cultiver que du café.

Quand le gouvernement s’est lancé dans la transformation en bio des plantations, il a oublié que le rendement baissait et alors beaucoup de paysans se sont désintéressés du bio, parce qu’ils produisaient moins. Mais à Terra Noun on a expliqué aux producteurs que le bio n’est pas le problème : le problème c’est la méthode. 

Les plantations de Terra Noun sont des vergers, et comme en Ethiopie le café y pousse à l’ombre des feuillages. Mais chez nous l’ombrage ne provient pas de la forêt mais des arbres fruitiers. Quand leurs fleurs tombent à l’annonce des pluies début février, ça fait de l’engrais naturel. 

On voit aussi les plantations comme des habitats dans lesquels les caféiers cohabitent avec les arbres fruitiers. Ils permettent d’améliorer la rentabilité des plantations, en produisant des fruits mais aussi du miel. Tout ça mis en place, on n’augmente pas le rendement des caféiers, mais celui de la plantation toute entière. Et le café gagne en qualité. Le café ne nourrit pas, mais pour nous c’est un produit de rente, alors la qualité est importante.

D’ailleurs, comment se passe la rémunération des cultivateurs ?

D’abord, il faut savoir que l’on veut de plus en plus fonctionner par micro-lots, par producteur comme avec les plantations de Deboneur et de Na Madame. Nous souhaitons faire découvrir chaque plantation séparément par respect du producteur, mais aussi par souci de qualité. Les industriels veulent toujours plus de café et moins cher, ici vous avez des petits paysans qui produisent peu mais veulent vivre mieux. Même si ce n’est que 30 kilos, et bien on va chercher à faire découvrir les 30 kilos de la plantation de Deboneur.

Pour rémunérer le producteur, on fait donc une sélection que l’on présente à nos clients. Cette sélection, on l’achète d’abord aux producteurs en début d’année, au prix de l’année précédente. Terra Noun fonctionne comme un “tiers de confiance”, avec un système d’achat garanti de la récolte, dès le début d’année. Si le prix de l’année en cours est supérieur, alors le paysan reçoit 80% de la différence. 10% vont à des oeuvres sociales, les 10% restants sont pour la protection des jeunes filles. La valeur de ces parts dépend donc de l’amélioration du prix de vente de nos cafés, et donc de la qualité selon la note donnée par les Q-Graders. 

Au-delà d’une note de 84/100, la négociation se fait de gré à gré, et le café se vend beaucoup plus cher. Donc notre objectif, c’est d’avoir des cafés notés à plus de 84/100, car cela nous permet de mieux rétribuer les producteurs et aussi de récupérer plus d’argent pour l’investir au village, comme pour le financement des manuels scolaires pour les enfants des cultivateurs.

J’ai l’impression que derrière Terra Noun, il y a un projet de société avant un projet café ?

Oui, pour nous le café est un levier pour revitaliser le village. C’est le moyen qu’on a trouvé pour lutter contre l’exode rural. Et c’est aussi un bon moyen pour reboiser les montagnes. Quand un paysan se remet à cultiver du café, il replante des arbres comme des amandiers, des avocatiers, pour protéger les caféiers du soleil et de la grêle. Et ces mêmes arbres lui permettent aussi de manger. Alors c’est bien les gens et la terre qui sont au centre de nos préoccupations. Le café, c’est un outil pour redynamiser le village et ça marche. On refuse maintenant des gens pour la cueillette car ils sont trop nombreux à vouloir travailler avec nous !

On commence aussi à voir de plus en plus de villageois consommer du café, et c’est aussi une bonne chose. Car si les camerounais consomment ce qu’ils produisent, ils vont faire des efforts pour produire un café encore meilleur !