Acheter du café de spécialité, comment ça marche ?

Si la tendance est à la transparence avec des torréfacteurs toujours plus nombreux à communiquer sur le prix d’achat du café au producteur, il reste difficile de mettre ce chiffre en perspective tant le système d’achat du café de spécialité reste un mystère pour la plupart des consommateurs.

Ingénieure agronome, Line Cosmidis s’est orientée vers le café dès la fin de ses études. Après ses premiers stages en Amérique Latine, elle part en Tanzanie et travaille comme acheteuse pour la société Tembo Coffee. Il y a quatre ans, elle rejoint l’importateur Falcon et devient responsable des ventes de café de spécialité de l’importateur anglais.

Aujourd’hui, elle nous explique comment s’achète le café de spécialité et ce qui se cache derrière le prix de votre paquet.

Bonjour Line, peux-tu nous expliquer comment s’achète le café chez Falcon ?

Nous, on est importateurs. Pour importer le café, il faut l’exporter. Pour cela, à part dans le cas du Pérou où on a des bureaux, on a besoin de partenaires sur place. L’exportateur peut être le producteur ou la productrice directement, une coopérative ou encore un exportateur en entreprise tiers qui va facturer ce service au producteur ou à la coop’. 

Pour trouver ces partenaires et les cafés, c’est beaucoup de contacts et de voyages pour aller à la rencontre des gens sur place et goûter les cafés. De manière générale, c’est beaucoup de cuppings. En tant qu’importateur, l’échantillon est l’élément clé de nos contrats. Aucun café n’est importé sans que l’échantillon ne soit approuvé par notre service qualité.

L’importateur ne paye le café qu’une fois cet échantillon approuvé ?

En termes de paiement, que ce soit le café commercial ou de spécialité, la quasi-totalité du café s’achète en terme FOB. Ce terme de logistique, aussi appelé incoterm, dit que l’exportateur est responsable de la marchandise jusqu’à ce que le café soit sur le bateau. Ensuite, toute la responsabilité est sur l’importateur.

L’autre terme, tout aussi important, est que les paiements se font en CAD, ce qui veut dire Cash Against Documents. Ce n’est qu’une fois le café sur le bateau que l’exportateur peut commencer à envoyer les documents à l’importateur. À ce moment-là, le café est en mer, et en tant qu’importateurs on ne va procéder au paiement qu’une fois ces documents en mains.

Il y a donc un partage de risque : l’exportateur a envoyé la marchandise sans être payé, et l’importateur paye sans l’avoir reçue.

Est-ce qu’il arrive de recevoir autre chose que ce qui a été payé ?

Ça arrive ! Quand on valide un échantillon, on n’est pas dans le même pays, on est très loin quand le café est mis dans les containers. C’est pour cela qu’il est extrêmement important d’avoir une relation forte et stable avec les fournisseurs. 

Mais attention, l’erreur n’est pas forcément de la volonté du fournisseur. Par exemple, un fournisseur au Costa Rica m’a raconté avoir envoyé du café aux Etats-Unis. Le client reçoit le container et il n’y a que du sable à l’intérieur. Le poids était le bon, mais sans un grain de café. Quelqu’un au port s’était emparé du café et l’avait remplacé par du sable. C’est pour ça qu’on a des assurances ! 

Un autre terme revient souvent aux côtés de FOB et CAD, c’est le C-Price. Qu’est-ce que c’est ?

Là, je vais différencier le café commercial du café de spécialité. En commercial, on a un prix qui est le prix de la bourse, c’est le C-Price. Par exemple, aujourd’hui on est à $1,9 par livre de café (interview réalisée en juillet 2021). Cela ne veut pas dire que c’est le prix de tous les cafés, c’est un prix de référence. Selon le pays et la qualité du café, on va avoir un différentiel positif ou négatif par rapport au C-Price. On peut donc acheter du café au C-Price + 40 centimes. 

Deux choses font que ce marché n’est pas stable. D’abord, la volatilité. Le marché est par exemple passé au-dessus des $2 la livre suite aux gelées au Brésil la semaine dernière qui ont dévasté des centaines d’hectares de plantation, avec des effets négatifs sur la récolte de cette année et les prochaines puisque ce sont des arbres qui ne vont pas refleurir tout de suite. Cela veut dire que, le Brésil étant le producteur d’à peu près 40% du commerce mondial, l’offre va drastiquement diminuer alors que la demande va rester la même. Si tu n’es pas producteur au Brésil, c’est plutôt positif pour toi. Mais à l’inverse, si on a une très bonne récolte au Brésil sur une année, un producteur dans un autre pays peut vite se retrouver à vendre son café sous ses coûts de production.

C’est donc là toute la différence avec le marché du café de spécialité ?

Au-delà de l’instabilité du C-Price lié à la Bourse, il faut aussi ajouter que ces prix ne sont pas fixés. Reprenons notre exemple du C-Price +40. Le C-Price évolue, donc le prix du contrat aussi. Jusqu’au jour où le contrat est signé, on ne sait pas ce que l’on va devoir payer ou recevoir, selon si tu te places du point de vue de l’importateur ou de l’exportateur, puisque le C-Price n’est pas fixe.

Quand tu travailles sur du café de spécialité, tu ne te base pas sur le C-Price et souvent, le prix est fixé depuis le début de la saison si tu as l’habitude de travailler avec le producteur. Cela lui apporte énormément de stabilité, puisqu’il a une idée assez précise des ressources qu’il va pouvoir sortir de cette récolte selon la qualité et la quantité de café. Et de manière générale, ce prix est largement supérieur au C-Price.

Quel est votre rôle d’importateur par rapport à ce prix fixe ? 

Dans la majeure partie des cas, c’est le producteur qui fixe le prix. On discute avec les producteurs en début de saison pour diviser les cafés en plusieurs catégories, selon les scores et selon les process. On tient compte des coûts de production pour que le prix payé soit supérieur à ces coûts, mais aussi des process.

Par exemple, un café naturel va avoir un coût de production plus élevé qu’un lavé, parce que ça met beaucoup plus de temps à sécher et prend plus de place. Chez Falcon, à qualité égale et variété similaire, les cafés naturels sont toujours plus chers que les lavés. Et puis on va classer selon le score au cupping. 

Le seul cas éventuellement où l’on négocie, c’est quand l’échantillon qui arrive n’est pas à la hauteur du prix ou de la qualité annoncée.

En cas de négociation, quelles sont les possibilités côté producteur ? 

Ça dépend. Il a tout à fait le droit de dire non s’il a d’autres clients en tête. Ce qui a pu nous arriver, avec du café à la qualité moindre que celle approuvée sur échantillon, c’est de négocier une réduction de prix sur les lots de l’année suivante. Après, si on arrive à le vendre au prix de départ, c’est tant mieux et ça permet au producteur de ne pas avoir de répercussion sur l’année suivante. Ce sont des conversations que l’on a avec les clients qu’on incluent parfois aussi dans ces décisions là, surtout quand il y a une relation à long terme entre eux et les producteurs.

Une fois chez vous, comment le torréfacteur achète les cafés ? 

L’intérêt d’être importateur est d’avoir des cafés de beaucoup d’origines au même endroit, accessibles aux torréfacteurs. Les clients torréfacteurs décident d’acheter ou non les cafés disponibles. Parfois sur de plus gros volumes ou des cafés spécifiques, on peut discuter avec le producteur et lui dire qu’on aimerait continuer à avoir tel café que tel torréfacteur veut continuer d’acheter. 

Parfois, le torréfacteur ne prend pas non plus tous les cafés dans sa torréfaction car c’est beaucoup de pression en termes d’espace et de cash flow. On offre donc aussi aux torréfacteurs la possibilité de garder les cafés un certain temps chez nous, dans nos entrepôts.

On parle de plus en plus de transparence sur les prix, côté torréfacteur. Quel est le prix communiqué sur les paquets ?

C’est une très bonne question, car ça dépend de l’info que le torréfacteur veut communiquer. Parfois, il va communiquer le prix d’achat à l’importateur, parfois un prix au producteur, qui est le farm gate price. Dans la plupart des cas, le torréfacteur communique le prix FOB, c’est-à-dire le prix auquel nous, importateurs, achetons le café.

La raison pour laquelle c’est plus souvent ce prix qui est communiqué que le farm gate price, c’est qu’il est plus facile à avoir. Quand un client achète un lot et nous demande le prix FOB, on donne toujours ce prix payé à l’exportateur. On a décidé de mettre un portail en ligne sur lequel les clients peuvent voir la transparence du prix du farm gate price s’il est disponible. On y trouve aussi le prix FOB, le coût d’importation y compris notre marge, et puis le prix de vente aux torréfacteurs.

Après, un prix FOB donne une idée du prix payé au producteur, mais ce n’est pas ce qui est directement payé au producteur. L’important est donc d’expliquer ce prix. Le FOB peut vouloir dire le prix payé au producteur dans le cas du Brésil, ou les producteurs s’occupent du process et de l’export. Mais si tu prends l’exemple du Rwanda, dans la majorité des cas, les producteurs récoltent les cerises et les vendent à une station de lavage. Le prix producteur est donc le prix de la cerise fraîchement récoltée, sans prendre en compte le coût suivant de traitement des cerises.

Cela peut donner l’impression qu’on paye beaucoup plus le producteur au Brésil qu’au Rwanda, alors que sur la liste le café du Rwanda est beaucoup plus cher. Ça ne veut pas dire que quelqu’un encaisse une grosse marge au milieu, c’est plutôt que la marchandise a été payée à un moment différent.

C’est pour cela qu’être transparent sur les prix, c’est bien, mais il faut donner aux gens les outils pour comprendre et comparer. Un prix seul, sans explication, ça ne veut rien dire.

J’imagine qu’il est aussi difficile de donner un prix général de revient au producteur pour une tasse d’espresso ?

Oui, ce serait totalement hypocrite de ma part de te donner un chiffre pour 1 tasse, car on n’a pas assez de données. On travaille à avoir toutes les données côté producteur, pour nous pousser nous-même à être le plus transparent possible et pousser nos fournisseurs à être aussi transparent.

Mais on est loin d’avoir toutes ces infos,  ça va dépendre du contexte en pays producteur mais aussi du torréfacteur. Un torréfacteur à Paris n’a pas les mêmes coûts qu’un torréfacteur en Grèce. Tout dépend aussi de la marge que ce torréfacteur a décidé de prendre, de la quantité utilisée pour faire ton espresso… il est vraiment impossible de répondre à cette question-là.

La technologie est-elle un moyen d’être plus transparent jusqu’à la tasse ?

Ce qui est sûr, c’est que l’industrie du café en général manque de transparence. Après, dire que c’est parce qu’on n’a pas les moyens technologiques, je pense que c’est une fausse excuse. Mais c’est vrai que pour avoir passé beaucoup de temps en pays d’origine, beaucoup de personnes n’ont pas d’équipements ou de smartphones. Récupérer un fichier excel est déjà difficile, alors implanter de nouvelles technologies avec un regard occidental, ça paraît plus facile à dire qu’à faire. C’est énormément de travail : récupérer l’information, la vérifier, la traduire… Il y a définitivement de la place pour les nouvelles technologies dans cette recherche de transparence mais je pense qu’il faut travailler ensemble, du producteur au coffee shop pour adapter ces technologies aux besoins et contextes de chacun. 

J’ai aussi l’impression que ce besoin de transparence se trouve surtout de notre côté de la chaîne.

Oui, je trouve dommage qu’on n’insiste pas assez sur les bénéfices de la transparence en amont, côté producteur. Et d’ailleurs, même si ça ne part pas d’un mauvais sentiment, il arrive parfois que des clients demandent beaucoup plus que des informations sur les prix. Ils veulent pouvoir communiquer avec des photos de famille, savoir si les producteurs ont des enfants.

Mais est-ce que les producteurs demandent ça aux torréfacteurs ? Quand je voyage avec des clients, les questions des producteurs portent généralement sur la manière de préparer leur café, savoir si les gens l’aiment bien ou alors sur le club de foot que soutient le torréfacteur. Mais jamais de choses très intimes ou intrusives. On se pose trop peu la question de ce qu’on a vraiment besoin de savoir et de pourquoi on se permet de demander telle ou telle information.

Que peut faire l’importateur pour plus de transparence, à la fois côté producteur et côté torréfacteur ?

Si on prend l’exemple du Pérou, on n’était pas pleinement satisfaits de la chaîne de valeur. On voyait beaucoup de potentiel, avec un volume qui nous permettait d’investir plus. On est devenu exportateur au Pérou en travaillant directement avec les producteurs, ce qui a un gros impact sur la transparence puisque le prix payé au producteur est celui que nous payons, ça nous permet d’avoir toute la transparence possible avec les producteurs. Parmi les autres projets sur le terrain, on vient de monter un partenariat exclusif en Colombie avec un importateur. Il s’agit d’une joint venture, alors c’est un peu comme si c’était Falcon en Colombie, avec de superbes opportunités de travailler sur les thématiques de transparence.

Ce qui reste très important aussi, c’est d’aller voir les producteurs et nos partenaires tous les ans et en retour d’essayer de les faire venir pour qu’ils rencontrent les clients de leurs cafés. On est un peu le Tinder du café nous, entre le producteur et le torréfacteur. Plus sérieusement, on est là aussi pour prendre le risque à la place du torréfacteur, avec un cash-flow suffisant pour payer une cargaison de café avant qu’elle n’arrive. On est des facilitateurs, on veut avant tout que la relation entre le producteur et le torréfacteur soit forte pour une meilleure communication entre ces deux mondes, et que cette relation continue chaque année.