Peter Giuliano - Crédit photo : Eileen P. Kenny
Peter Giuliano – Crédit photo : Eileen P. Kenny

Le cold brew, qu’est-ce que c’est ? Avec Peter Giuliano (SCA)

Qu’est-ce qui rend le cold brew si spécial ? La Specialty Coffee Association et son organisme de recherche, la Coffee Science Foundation, ont lancé cette année le programme “Towards a Deeper Understanding of Cold Brew Coffee”. Un programme de recherche de deux ans et dédié à cette préparation qui agite l’industrie du café de spécialité depuis plusieurs années.

Pour en savoir plus, Peter Giuliano, Directeur des Recherches de la Specialty Coffee Association et Directeur de la Coffee Science Foundation, nous parle du cold brew, de ses débuts dans l’industrie du café en 1988 à aujourd’hui. Et, bien sûr, des recherches dont il est en charge.

Peter, pouvez-vous résumer votre parcours dans l’industrie du café pour ceux qui ne vous connaissent pas ?

Bien sûr ! Je travaille dans l’industrie du café depuis 1988. J’ai débuté comme barista à San Diego, en Californie, et je suis tombé amoureux du café. Après quelques années, j’ai managé des coffee shops, et puis j’ai déménagé en Caroline du Nord où j’ai ouvert la torréfaction Counter Culture (que Peter Giuliano a quitté en 2012, ndlr).

C’est à ce moment que j’ai beaucoup étudié le café. Plus j’apprenais sur le café et plus je voyais la possibilité d’une carrière se dessiner. Après 32 ans dans l’industrie du café, me voilà maintenant Directeur des Recherches à la Specialty Coffee Association et Directeur exécutif de la Coffee Science Foundation.

Le cold brew était-il déjà populaire à vos débuts ?

Disons qu’il existait. Le cold brew n’était pas aussi populaire qu’aujourd’hui, mais nous vendions déjà des cafetières Toddy, pour l’extraction à froid. Toddy, c’est comme la V60 aujourd’hui, on “préparait un Toddy”. Je dirais que le cold brew, l’idée de réaliser une extraction à froid, a vraiment décollé vers 2006.

Quelle est votre définition du cold brew ? 

C’est justement toute la question ! Il y a beaucoup de définitions différentes du cold brew, et donc beaucoup de confusion. La raison de nos recherches, c’est d’étudier ce qui différencie l’extraction à froid des autres méthodes d’extractions, pour en avoir une définition plus précise.

Lorsqu’on parle d’un cold brew, on parle d’un café extrait à une température plus basse que “chaud”. Mais tout ça n’est pas du tout précis, nous voulons comprendre les phénomènes physiques et sensoriels de cette extraction, connaître ce qui fait un “bon” cold brew ! Est-ce que l’extraction se fait à 2°C, 20°C, 60°C ? Je n’en sais rien.

Beaucoup de gens associent le café glacé au cold brew, mais d’autres achètent aussi du cold brew qu’ils font chauffer. Il ne s’agit pas simplement de boire un café froid, mais de la manière de préparer, d’extraire le café à froid. Mais comment ? 

Quel est le matériel disponible dans le commerce pour préparer un cold brew ?

Il y a énormément de matériel à disposition. J’ai parlé de Toddy plus tôt, qui permet de filtrer le café sur un temps très long, plusieurs heures. C’est vraiment la cafetière la plus connue, mais tu peux faire un cold brew avec beaucoup de choses, comme une french press.

Vos recherches sont sponsorisées par Toddy. Travailler avec eux était-il une évidence ?

Toddy est aux origines du cold brew. Ils ont démarré dans les années 60, et sont vraiment passionnés par cette manière de préparer du café. Quand nous avons discuté avec eux de ce problème de définition, cela a tout de suite fait sens. Ce sont les pionniers de cette extraction.

Ils sponsorisent notre projet, mais il s’agit bien de recherches menées par la Specialty Coffee Association. Les résultats seront donc disponibles pour tous, c’est important pour la SCA de partager ces recherches avec la communauté. 

Pourquoi le cold brew a-t-il mis autant de temps à devenir aussi populaire, au moins aux Etats-Unis ? 

De ma position, ça a été un phénomène intéressant à observer. D’abord, parce que le café glacé est devenu vraiment populaire ces dernières années, et qu’on confond souvent café glacé et extraction à froid. Boire du café dans une bouteille sortie du frigo a attiré un nouveau public.

Ensuite se pose la question du profil aromatique. La plupart des extractions à froid permettent au café de présenter un profil aromatique très différent. Ce qui attire encore d’autres personnes. Aussi, boire du bon café est aussi de plus en plus populaire, et les gens sont plus ouvert à la diversité des profils, des origines mais aussi des façons de préparer le café.

Les recherches de la Coffee Science Foundation vont-elles mettre en lumière ces différents profils ?

Bien sûr ! Nous avons prévu d’utiliser pour cela les sciences sensorielles, et notamment les analyses descriptives pour caractériser toutes les saveurs d’un café. Ce sont ces sciences qui nous ont aidé, par exemple, à définir comment l’extraction avec un filtre à fond plat est différente d’un filtre conique, à savoir comment et pourquoi ce simple paramètre influe sur la saveur d’un café.

Donc, on va aussi utiliser ces méthodes scientifiques pour évaluer toutes les différences de saveur entre différents cafés extraits à froid et comprendre comment certains paramètres comme la température ou le temps d’extraction influent sur le goût d’un cold brew. 

Le souci aujourd’hui, c’est que les bouteilles de cold brew vendues dans le commerce se ressemblent toutes. C’est toujours une bouteille en verre, avec le même genre d’étiquette, mais je peux te garantir qu’on y trouve une très grande diversité de saveurs ! Certains cold brew goûtent le chocolat, d’autres sont plus brillants, plus agressifs… 

Combien de temps vont durer ces recherches ?

On part sur 2 ans de recherches. Les recherches préliminaires ont déjà commencé, et nous allons bientôt débuter les analyses sensorielles dont je te parlais. Ensuite, nous prêterons attention aux phénomènes chimiques et physiques qui influent sur les différents paramètres, comme le corps ou l’acidité.

Pouvez-vous partager avec nous les premiers résultats de ces recherches préliminaires ?

Pour le moment, tout est encore au stade de l’ébauche. Nous avons prêté beaucoup d’attention à l’acidité. Quand on parle de cold brew, on dit souvent que l’extraction à froid produit moins d’acidité. Nos premières recherches ne vont pas vraiment dans ce sens, mais il y a encore beaucoup de chemin à parcourir. Je ne voudrais pas dire n’importe quoi, nous avons à peine commencé nos recherches en partenariat avec UC Davis (University of California). 

Au total, combien de personnes travaillent sur ce sujet ?

A la Specialty Coffee Association, nous sommes deux. L’équipe universitaire avec laquelle nous collaborons est plus étoffée, avec trois personnes : Jean-Xavier Guinard, Carlito Lebrilla et William Ristenpart. Ils mènent une équipe de trois chercheurs qui travaillent sur leur doctorat, ainsi qu’un torréfacteur avec lequel nous définissons le profil de torréfaction qui sera utilisé pour nos recherches.

Concernant la manière de préparer un cold brew, c’est là où Toddy nous aide énormément car ils ont beaucoup d’expérience pour faire le meilleur cold brew possible, et établir certains standards comme nous avons pu le faire avec la SCA pour la café filtre par exemple.

Les paramètres à étudier sont-ils les mêmes que pour le café extrait à chaud ? 

Oui, je pense. Je dirais que les premiers paramètres à étudier sont la température, le niveau de torréfaction et aussi les différents variétés de café, leur origine bien sûr. Tous ces paramètres vont nous apporter différentes variables, qui nous permettront d’avoir une image assez large des paramètres à étudier plus en profondeur. 

Les paramètres à étudier sont-ils les mêmes que pour le café extrait à chaud ? 

Oui, je pense. Je dirais que les premiers paramètres à étudier sont la température, le niveau de torréfaction et aussi les différents variétés de café, leur origine bien sûr. Tous ces paramètres vont nous apporter différentes variables, qui nous permettront d’avoir une image assez large des paramètres à étudier plus en profondeur. 

Pensez-vous que le cold brew est une opportunité pour les producteurs ? 

Oui, et c’est d’ailleurs le but de la Specialty Coffee Association, donner plus de valeur à la production de café de spécialité. Nous allons peut être découvrir aux termes de nos recherches que certains cafés sont plus propices à l’extraction à froid que d’autres. Et si cela est vrai, cela pourrait amener les producteurs de ces cafés à cibler le marché du cold brew. Ce serait super si nous sommes capables d’aider ces producteurs à se développer avec nos recherches !

Et puisque nous parlons de marché, quelle place tient le cold brew sur le marché du café de spécialité ?

Ce n’est pas hyper clair, parce qu’on en revient au problème de définition. Même quand nous avons un chiffre, nous ne savons pas vraiment de quoi on parle. C’est dur de répondre à cette question. 

En tout cas, ce qui se passe en ce moment avec le cold brew représente ce qu’est l’industrie du café de spécialité : le changement et la diversité. 

Quand j’ai débuté, le mot barista n’existait pas aux Etats-Unis. Nous étions simplement des jeunes gens employés dans des cafés. Quand les latte sont arrivés dans les 90s, l’industrie s’est transformée, on a commencé à faire attentions aux machines. A cette époque aussi, il faut se rappeler que les torréfactions populaires étaient les torréfactions dark.

Les torréfactions claires sont apparues dans les années 2000. Comme tu le vois, la communauté du café de spécialité est capable de grands changements ! La montée en puissance de l’extraction à froid est un phénomène semblable.

Et vous, quelle méthode d’extraction préférez-vous ? 

Comme je travaille pour la Specialty Coffee Association, tu t’en doutes : je n’ai pas d’opinions, je travaille pour tout le monde et j’aime tout (rires) ! Plus sérieusement, je prépare mes cafés de différentes manières. Espresso, café filtre… c’est comme demander à un parent lequel de ses enfants il préfère, c’est impossible.

Quand je prépare un cold brew à la maison, je cherche des notes chocolatées car c’est ce que j’associe à l’extraction à froid, mais c’est encore une chose que l’on pourra définir après nos recherches : est-ce que ces notes sont caractéristiques d’un cold brew ? Où est-ce simplement ma manière de le préparer ? Je ne peux encore rien dire, je ne voudrais pas spoiler les résultats de nos recherches !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *