Mikolak Pociecha, torréfacteur chez Suedhang

Pour Mikolaj Pociecha, il n’y a pas que l’Arabica dans la vie

Mikolaj Pociecha est torréfacteur chez Suedhang Koffee, à Tübingen, en Allemagne. Depuis deux ans, il se passionne pour une espèce trop souvent décriée, Coffea Canephora.

Il sort d’ailleurs un livre dédié à cette espèce, avec la volonté de nous faire regarder ces cafés différemment : I would like your fruitiest, funkiest, most fermented Canephora on the menu.

« Je voulais écrire un texte facile pour mettre le Robusta au centre du débat. Je voudrais que plus de personnes essaient, soient curieuses à propos des Canephoras, dont certains sont incroyables ». 

Bonjour Mikolaj ! Quelle est la différence entre Robusta et Canephora ?

Canephora est le nom d’une espèce, comme Arabica, et Robusta une variété de Canephoras.

Quand on parle de Robusta, on a la mauvaise habitude d’en parler comme une espèce comparable aux Arabicas. Quand on parle d’Arabica, on ne parle pas de Gesha, ou de Bourbon, ce sont des variétés d’arabicas et on en parle comme telles.

En parlant de Canephora et de Robusta comme un même ensemble, on applique tout un tas de stéréotypes à une espèce. Je trouve ça très problématique. Alors que des variétés de Canephoras, il en existe beaucoup d’autres. Par exemple le Kopi Java ou le Napo Pyamino. 

Pour que les amateurs de café de spécialité soient un peu plus curieux, c’est très important d’utiliser les bons termes et d’être dans le vrai : le Robusta est une variété au sein d’une espèce de café, Canephora. Et, parmi cette espèce, la variété Robusta est la plus répandue, notamment au Vietnam. 

En découvrant le café de spécialité, que pensais-tu de ces cafés ?

Comme tout le monde, je pense, que ce n’était pas bon. J’étais persuadé que les cafés Canephoras étaient amers, boisés.

Comme la majorité des Canephoras plantés le sont pour faire du café de commodité, ce n’est pas si faux que ça en réalité. Quand j’ai commencé comme barista, je ne voulais certainement pas en boire !

I would like your fruitiest, funkiest, most fermented Canephora on the menu
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C’est en commençant à torréfier chez Suedhang il y a 2 ans que je m’y suis intéressé. Je recevais pas mal de samples. Ils étaient mauvais, mais surtout à cause de la torréfaction. C’était sur-développé.

Tout a changé quand j’ai demandé des samples de Canephoras verts, et que je me suis occupé moi-même de la torréfaction.

De quel pays venaient ces premiers samples ?

Surtout du Vietnam. À Tübingen, il y a un importateur qui s’appelle Cumpa et un autre à Cologne, Latitud 0°. Ils travaillent avec des producteurs de Canephoras et font un travail formidable avec des producteurs du Vietnam, du Pérou ou d’Équateur.

Je leur dois beaucoup, car plus je goûte de Canephoras différents, et plus le sujet devient profond au point de vouloir avoir de l’impact sur la communauté du café de spécialité en faisant la promotion de ces cafés. 

Pourquoi avoir choisi cette mission ? 

Le café, c’est d’abord une affaire de goût. Et, pour la grande majorité des gens, j’ai l’impression que l’histoire d’un café importe très peu tant qu’il est très bon.

Quand on goûte un excellent Arabica, ce sont des années de travail et d’investissement financier pour obtenir de tels résultats. 

Pour un bon Canephora, on est seulement au début du travail pour en faire un très bon café. En deux ans, les producteurs avec lesquels je travaille ont incroyablement progressé. 

Si cette progression en qualité est possible, c’est parce que la demande augmente.

Et ça, c’est bien notre pouvoir de torréfacteur. On peut créer une demande et changer le cours des choses en proposant de nouveaux cafés au public. Là-dedans, donner ses lettres de noblesse au Canephora me semble un combat tout à fait légitime.

L’industrie n’est-elle pas forcée de s’intéresser au sujet ?

Je n’aime pas parler de Canephora comme d’une solution au dérèglement climatique qui touche les plantations, mais c’est bien sûr un bon substitut. Ça ne réglera pas le problème de planter des Canephoras. Ces cafés sont plus résistants à la montée des températures, mais ne sont pas non plus indestructibles… Cependant, c’est une source de revenue intéressante pour ceux qui dépendent de la production de café.

Depuis quelque temps, j’ai l’impression que les torréfacteurs sont de plus en plus ouverts au Canephora. Il y a 2 ou 3 ans, je ne connaissais pas grand monde qui s’y intéressait.

On commence à y être obligé aussi parce que les coûts de production sont de plus en plus importants et le café coûte de plus en plus cher.

Des cafés Arabicas qui coûtaient 10 euros le kilo coûtent maintenant 15 ou 16 euros le kilo, alors que la qualité n’a pas bougé. Ça devient difficile à acheter. En moyenne, pour se faire une idée, on peut considérer qu’un Canephora coûte deux fois mois cher qu’un Arabica.

Au-delà du prix, tu as un intérêt presque politique pour le Canephora…

Oui, il y a énormément de perspectives différentes dans le café de spécialité… Quand j’ai voulu travailler dans le café, c’était pour faire partie d’un mouvement qui considère des problématiques plus larges que le produit en lui-même. Par exemple, le fait que le café soit un produit issu de la colonisation. 

Pour moi, le café de spécialité ne peut pas être défini que par son coût ou son goût. Le café de spécialité, ça doit être un échange, une ouverture sur le Monde. Bien sûr, la qualité est importante, mais ça vient en second chez moi, après l’histoire que me raconte le café.

Tu vois l’industrie du café de spécialité aller dans ce sens ? 

Sahra Nguyen, de Nguyen Coffee Supply au Vietnam, parle de “rise of the robusta”. Il y a plus d’intérêt, c’est sûr.

Mais, pour moi, un Canephora est surtout l’opportunité de découvrir quelque chose de nouveau, de découvrir des origines et des fermes auxquelles on ne s’intéresse pas beaucoup. Ce qui m’embête, c’est d’entendre qu’un Canephora n’est pas bon, sans en avoir goûté ou même cherché à en goûter.

J’adorerais voir un Canephora aux prochaines compétitions de la SCA. En 2019, le champion équatorien Johann Buenaño a gagné avec un Canephora, le Napo Payamino de Chakra Warmi, dont je garde un paquet sur une étagère en souvenir ! 

Je ne sais pas si ça reproduira encore… mais il y a plus d’intérêt, c’est sûr.

D’ailleurs, mais ça goûte quoi un Canephora de spécialité ? 

Quand tu bois un Canephora pour la 1ʳᵉ fois, c’est certainement moins sweet et moins acide qu’un Arabica. Mais comme pour un Arabica, l’éventail des possibilités est grand. 

C’est une expérience sensorielle vraiment différente. J’ai arrêté de boire des Arabicas pendant plusieurs semaines quand je me suis intéressé aux Canephoras. Quand je suis revenu aux Arabicas, ils me semblaient tous très végétaux. 

Tous les vendredis, j’organise un cupping public avec moitié Canephora, moitié Arabica. C’est intéressant, les clients ont tendance à préférer les Canephoras.

Je pense que les gens les plus difficiles à convaincre qu’un Canephora peut être incroyable sont les gens du café de spécialité qui aiment l’acidité, les notes fruitées avec des process expérimentaux.

Tu vois de plus en plus de clients aller vers ces cafés chez Suedhang ?

Ici à Tübingen, c’est assez facile parce que la ville est très verte, et ses habitants aussi. Ils aiment prendre soin de l’environnement, avoir un impact positif.

Le plus grand impact, pour nous, ce sera quand on vendra des Canephoras à nos clients B2B.

On a déjà proposé un Canephora, un Robusta avec un process anaérobique de 70h produit au Vietnam, à la Future Coffee Farms. Mais on n’en a vraiment pas vendu des masses… 

On a continué, et la seconde proposition que l’on a faite était un Napo Payamono, un café déjà beaucoup plus populaire et connu à l’international. Son profil est plus facile, très tropical, avec des notes de mangue et de papaye.

Maintenant, on a un café très épicé, d’Indonésie, un honey process avec une qualité qui raconte vraiment l’histoire de la coopérative Sapto Wening. C’est un café qui n’est peut-être pas le plus incroyable, mais il a une histoire très importante à raconter.

Et c’est la bonne question, je pense, à se poser quand on achète un Canephora : qu’est-ce qui a le plus de valeur à mes yeux ?