Mathieu Theis, fondateur du coffee-shop Mame
Mathieu Theis, fondateur du coffee-shop Mame

Mathieu Theis, Mame et les cafés de compétition

De plus en plus présents au menu des coffee-shops et chez les torréfacteurs, les cafés de compétition sont-ils de plus en plus plébiscités par les consommateurs ? 

Entré dans le café de spécialité par la compétition, Mathieu Theis était la personne idéale à qui poser la question.

Mathieu est 3 fois Champion de Suisse Barista en 2016, 2018 et 2019, et finaliste des Championnats du Monde en 2018 et 2019. Avec Emi Fukahori, Championne du Monde Brewers Cup 2018 et 4ème aux Championnats du Monde Barista 2021, il est le fondateur du coffee-shop Mame, à Zürich.

Dans cette interview, il nous parle de sa vision des cafés de compétition, de sa manière d’aborder leur torréfaction et de l’intérêt grandissant des consommateurs pour ces cafés d’exception.

Bonjour Mathieu, quel rapport entretient Mame avec les cafés de compétition ?

La fondation de Mame est intimement liée à la compétition, et surtout à l’histoire d’Emi. À l’époque, on n’était pas du tout des pros du café. C’est en faisant quelques festivals qu’un torréfacteur nous a approché. Je ne sais comment, il a cru en nous et nous a poussé à faire de la compétition.

Tous les deux avions un travail de bureau classique et le soir, on prenait la voiture pour s’entraîner chez lui, dans sa torréfaction. On a approché le café par l’angle de la compét’, mais vraiment par jeu.

C’est en allant aux championnats du Monde que l’on a découvert des cafés incroyables, mais également que ces cafés, on ne les buvait jamais en dehors. Je trouvais dommage que ces cafés soient réservés à une élite, les juges des compétitions, alors qu’ils ne sont pas compliqués à boire. On se rend vite compte qu’ils sont très bons.

Qu’est-ce qui fait un bon café de compétition ?

Le choix du café pour une compétition dépend uniquement de ce que tu veux faire. Si tu vas en compétition pour la gagne, alors il faut aller dans les meilleures fermes et trouver le meilleur café du monde.

Il y a aussi des cafés qui ne sont pas hors de prix, que tu as la possibilité d’acheter en grosse quantité, et que tu peux travailler jusqu’à obtenir la torréfaction parfaite.

Un bon café peut devenir incroyable s’il est parfaitement torréfié et parfaitement extrait. Il vaut mieux ça que d’avoir 2 batchs d’un café génial, mais que tu n’auras pas le temps d’apprendre à torréfier.

Mathieu Theis, fondateur du coffee-shop Mame
Mathieu Theis, fondateur du coffee-shop Mame

Quelle place ont les cafés de compétition dans votre gamme ? 

Le café de spécialité reste une niche et le compromis est une bonne chose. C’est pour ça qu’en venant à Mame, tu vas avoir un Brésilien basique qui plaît à énormément de mes clients et puis des cafés plus acides pour mes clients plus expérimentés.

Enfin, quelques cafés de compétition pour se faire plaisir et montrer aux gens que ces cafés sont extrêmement divers.

En ce moment, il y a un peu de tout. On a les cafés de la ferme Auromar, au Panama. Ce sont les cafés de compétition à l’ancienne, très clean et floraux comme on les aimait il y a 3 ou 4 ans. Ils n’auraient aucune chance aujourd’hui en compétition, où il n’y a plus aucun café lavé.

Dans un autre genre, plus moderne, on a aussi des cafés anaérobies, avec des notes de fruits tropicaux.

Comment abordes-tu la torréfaction de ces différents cafés ? 

De manière générale, je crois beaucoup à l’école nordique. Pour les torréfactions espressos, je mets peu d’énergie au début pour avoir beaucoup de douceur et puis j’augmente la cuisson avant le premier crack pour ajouter beaucoup de saveur et d’intensité.

Pour les torréfactions filtre, je recherche la clarté et l’acidité. Je torréfie avec beaucoup d’énergie au début et baisse en intensité jusqu’au crack. Cette philosophie est la même pour tous les cafés.

Ce qui complique les choses avec les cafés de compétitions aujourd’hui, ce sont les process utilisés. Pour certains cafés, le séchage est vraiment très long et des sucres externes peuvent se développer sur la surface du grain de café pendant ce temps.

Ce qui donne au café torréfié un aspect noir et huileux comme si l’on poussait la torréfaction. Comme les sucres sont à l’extérieur, ils sont caramélisés et peuvent donner une note d’amertume si l’on n’ajuste pas la torréfaction.

Pour accéder à ces cafés, faut-il avoir des relations particulières avec les producteurs ?

Aujourd’hui, il est extrêmement simple d’avoir de très bons cafés. Avant, il fallait connaître le producteur, établir une relation de confiance pour avoir les lots secrets. Comme les producteurs ont compris qu’il y avait un marché, la plupart sont devenus très commerciaux.

C’est l’exemple de la Finca Deborah de Jamison Savage. Il a sa liste, ses prix, tu achètes ou non. Las Margaritas en Colombie bossent encore un peu à l’ancienne, avec des choses exclusives si tu les connais. C’est ce que je trouve le plus fun, même si ce n’est pas toujours très bon ! J’essaie donc aussi de voir d’autres gens, un peu difficiles d’accès, et là ça devient intéressant parce qu’une fois sur dix, tu trouves des choses incroyables.

Cette année, qui a représenté Mame aux championnats nationaux et mondiaux ?

J’ai entraîné Tom Balerin pour les championnats de France Brewers Cup et Barista, auxquels il a fini deuxième. J’ai entraîné Daniele Ricci, le champion italien, pour les championnats du Monde Barista et c’était vraiment top.

Et, puis bien sûr, Emi. Comme ancienne championne du Monde, c’était une position particulière pour Emi, car elle n’avait rien à prouver.

Pour quelle raison alors se lancer dans la compétition cette année ?

Emi s’est longtemps demandée ce qu’elle apporterait à la compétition. Il fallait apprendre quelque chose, et on a pris le sujet du mycélium, ce réseau de champignons qui permet aux plantes de communiquer entre elles.

On a trouvé un fermier qui travaille sur ce sujet, Jose Gallardo de la Finca Nuguo, au Panama. On a pris un de ses geishas, qui sont excellents, mais auxquels on ne croyait pas trop, pour ne rien te cacher. La connexion avec Jose était tellement incroyable que l’on y est allés avec.

Est-ce qu’il est important d’avoir une histoire à raconter pour la compétition ? 

Ce que je dis souvent, c’est que tu as surtout beaucoup de chances de perdre en te lançant dans la compétition. C’est très difficile. Quand tu as 60 compétiteurs, tu as 59 déçus. À mon sens, il faut donc avoir du plaisir pendant l’entraînement et apprendre quelque chose.

L’histoire est plutôt une conséquence de ton entraînement. Si tu perds tu garderas toute la vie ce que tu as appris. Certains s’entraînent chaque année et ne gagnent jamais. Je pense qu’il faut décorréler l’entraînement de l’objectif de victoire, et s’intéresser au voyage plutôt qu’à la destination finale.

Gagner, qu’est-ce que cela a pu apporter à Mame ? 

Un championnat n’apporte pas grand chose, c’est juste pour la gloire. Il vaut mieux utiliser cette plateforme pour sa carrière.

Je donne toujours l’exemple de Charlotte Malaval. Elle arrive en finale en racontant que ce qu’elle aime, c’est découvrir des cafés pas connus, de destinations pas connues, en sachant très bien qu’elle ne gagnera pas avec ces cafés. Juste après elle a le job d’acheteuse chez Toby’s Estate, parce qu’à l’époque Toby’s souhaite avoir des cafés différents. 

En compétition, il faut se faire plaisir et si tu as la chance d’aller en finale, il faut utiliser cette chance pour ta carrière, car tu n’auras pas 2 fois la chance d’être regardé par des milliers de professionnels.

Un aussi beau palmarès que celui de Mame vous amène quand même plus de clients, non ?

Côté public, je ne pense pas que les compétitions aient beaucoup d’incidence, pour la simple et bonne raison que personne n’est au courant qu’il y a des compétitions. Le café de spécialité reste une niche, alors les compétitions… Regarde La Cabra, c’est un excellent torréfacteur et ils ne font pas de compét’. Je pense que ça aide, mais je le fais par passion plus que pour le business.

Des gens comme Joachim Morceau prouvent tous les jours qu’on peut être le meilleur coffee-shop de Paris sans avoir fait les championnats du Monde.

La compétition, ça valide simplement que je torréfie ou que je prépare un café qui plait à 4 juges internationaux.

Tu vois quand même une demande grandissante de tes clients pour les cafés de compétition ?

Oui, clairement. Les gens se demandent ce qu’un café peut avoir de si spécial. Je pense d’ailleurs que les prix ne doivent pas être hallucinants avec ces cafés, pour que les gens tentent. Et on en vend énormément, c’est intéressant de donner accès à ces cafés incroyables à plus de monde.

D’ailleurs, ces clients adorent les histoires que l’on peut raconter autour des cafés. L’histoire n’est pas importante pour les juges ou les points, en revanche pour toi personnellement et pour le partage avec les clients, c’est fondamental.

Là où les cafés de compétitions sont intéressants, c’est que toutes les innovations passent par là, la compétition est la F1 du café de spécialité. Tous les cafés anaérobies que l’on voit aujourd’hui en compétition, on va mieux les comprendre et finir par les retrouver chez tout le monde. Il y a aussi un gros enjeu sur les variétés en ce moment, et c’est vraiment ce qui est intéressant à mon sens pour le public : un aperçu de ce que sera le café dans les années à venir.