Le futur du café avec le Dr. Kraig Kraft du World Coffee Research

En juillet, le World Coffee Research publiait son rapport annuel. Intitulé “Assurer le futur du café”, ce rapport revenait sur l’année 2020 et les actions menées par le WCR, au même moment où un épisode de gel extraordinaire touchait les caféiers brésiliens. Aujourd’hui le Brésil donc, mais demain ?

Au-delà du bilan, c’était aussi l’occasion pour le World Coffee Research de présenter sa stratégie pour les cinq prochaines années : accélérer l’innovation et les recherches en agronomie pour préserver la diversité génétique et la qualité du café, développer de nouvelles variétés plus résistantes et permettre aux producteurs de faire face aux changements climatiques à venir.

Pour aller plus loin que la lecture du rapport, nous nous sommes entretenus avec le Dr. Kraig Kraft, Directeur des Recherches du World Coffee Research pour l’Afrique et l’Asie, afin d’en savoir un peu plus sur le futur du café.

Bonjour Kraig, vous avez d’abord commencé vos recherches sur le piment. Comment êtes-vous arrivé au café ?

Quand j’ai démarré mon doctorat, je voulais travailler sur un sujet qui m’était cher, et dont il restait encore beaucoup à découvrir. J’ai grandi au Nouveau Mexique, la nourriture épicée fait partie de ma culture et le piment était un excellent sujet pour ça.

À côté, pendant mes études, je torréfiais mon propre café. Il y a cet endroit à Oakland, Sweet Maria’s, où ils vendent de petits lots de café vert pour le torréfier à la maison. J’avais aussi cet intérêt pour le café.

Et puis, ma femme et mois avons vécu au Nicaragua où j’ai travaillé comme conseiller technique pour la production du café et du cacao pendant 5 ans, dans plusieurs associations humanitaires axées développement durable. Quand le poste au World Coffee Research s’est ouvert, ça a été une formidable opportunité de lier mon background de recherches avec ma passion du café.

Que faites-vous concrètement au World Coffee Research ? 

Le World Coffee Research est une association à but non lucratif, soutenue par l’industrie du café. On permet à l’industrie d’investir et de participer au développement d’une production durable du café dans les pays d’origine.

Mon rôle, en tant que Directeur des Recherches pour l’Afrique et l’Asie, c’est de superviser chacun de ces projets de développement, par exemple aux Philippines, au Rwanda, au Congo ou encore en Ouganda. 

Votre rapport annuel s’intitule “Assurer le futur du café”. Par quoi est-il menacé ?

C’est malheureux de faire ce constat, mais il suffit de regarder les gros titres et constater les changements climatiques extrêmes, comme les gelées au Brésil au mois de juillet, ou les sécheresses un peu partout dans le Monde, pour comprendre ce rapport. Globalement, le prix du café est un jeu à somme nulle. Quelqu’un doit perdre pour qu’un autre s’enrichisse. Aujourd’hui, ce sont les producteurs brésiliens qui souffrent du fait des gelées, qui ont pour conséquence une explosion du prix du café.

Le changement climatique est un exemple très clair de la plus grosse menace sur le futur du café. Une conséquence parmi d’autres est que certains endroits du Monde où il était facile de produire du café sont de moins en moins adaptés.

Dans ce rapport, vous évoquez la nécessité de développer les connaissances à l’origine. Lesquelles ?

Il est important de ne pas généraliser, car ce savoir à l’origine est plus ou moins important selon le pays en question. Mais, pensons deux secondes à notre vie en France et à toutes les informations disponibles quand on fait nos courses. Si tu hésites entre 2 yaourts, tu peux savoir si le packaging est recyclé, si le lait est français, tu as le nutri-score… 

Un producteur qui achète des plants de café, ce qui est le plus gros investissement pour un producteur, ne connaît pas toujours la provenance des plants ou de la variété même qu’il achète. Il a donc trop peu d’informations pour savoir comment gérer sa production selon les conditions météo ou encore ce qui intéresse les consommateurs.

Tous les producteurs devraient au minimum avoir accès à ces informations pour choisir la variété la plus adaptée à leur situation géographique et adapter leur culture aux changements climatiques. 

Est-ce que cela vaut aussi pour le prix de vente du café ?

Tous les producteurs devraient aussi avoir accès au prix du café à la Bourse. Un producteur qui amène aujourd’hui sa récolte à la station de lavage devrait savoir s’il vaut mieux attendre un jour ou deux avant de l’apporter pour gagner plus d’argent, mais c’est trop rarement le cas.

Alors il y a bien toutes les certifications, comme le bio par exemple, où on explique que le café sera vendu à un meilleur prix s’il est certifié bio. Le souci est que les producteurs eux-mêmes sont très souvent exclus des mécanismes de certification. Ils ne sont généralement pas au courant de toutes les options qui existent. 

Nos projets se concentrent là-dessus : le développement des capacités à décider et la démocratisation des informations, avec par exemple notre guide des Variétés d’Arabicas, nos guides pour gérer les maladies ou manager une pépinière.

Historiquement, qu’est-ce qui a pu mener à ce manque d’informations à l’origine ?

Encore une fois, tout dépend de l’origine et des contextes. Dans certains pays, des investissements ont été menés par les gouvernements, comme au Brésil ou en Colombie, pour que les producteurs connaissent les variétés disponibles, leur prix et les meilleures manières de cultiver ces variétés.

D’un autre côté, tu as aussi beaucoup de pays où le café est produit, mais où il n’est pas consommé. Alors forcément, l’investissement en recherches et développement est bien moindre si les gouvernements ne voient pas le café comme une excellente opportunité d’exportation. 

Votre rapport montre aussi un manque de connaissances génétiques des variétés plantées. Est-ce que cela veut dire que le consommateur n’est jamais sûr de ce qu’il boit ?

Il est important de noter que le WCR ne s’adresse pas qu’à l’industrie du café de spécialité. Si on regarde le café consommé par la majorité des gens, il s’agit de blends, avec du café du Brésil, du robusta du Vietnam. Parfois, il s’agit de cafés vendus comme des 100% arabica, mais qui contiennent finalement du robusta pour faire baisser le prix, sans qu’aucun consommateur ne soit capable de le détecter. Ce sont finalement les cafés qui correspondent au goût de la plupart des personnes qui boivent du café, et ne s’intéressent que trop peu à ce qu’ils boivent. 

Toi, tu couvres le sujet du café de spécialité, avec des gens comme Belleville, Café Mokxa à Lyon ou Lomi… qui achètent finalement de très petits lots aux importateurs en comparaison de ce que représente toute l’industrie du café. Ces gens vendent des variétés bien identifiées, connaissent la parcelle de production. C’est un secteur vraiment à part dans l’industrie du café, à l’extrême opposé du marché du café classique.

Et du côté du producteur ? 

Du côté du producteur, encore une fois tout dépend du contexte. Tu as beaucoup de producteurs qui ne sont pas très au courant de ce qu’ils cultivent, bien que cela progresse notamment en Amérique Centrale. Parce qu’il y a là-bas un historique de maladie, comme au Salvador avec la rouille qui a pu décimer jusqu’à 75% des plantations. Là, il était devenu primordial pour les producteurs de planter des variétés résistantes à la rouille du caféier, et donc, d’être certain que les variétés plantées dans leur ferme soient les bonnes. Ne pas être sûr de la variété plantée, c’est dans ce contexte prendre le risque de gâcher des années d’investissements. 

Les pépinières ont un énorme rôle à jouer dans la transmission d’informations et la diversité des variétés proposées aux producteurs. Certaines pépinières différencient précisément toutes les variétés et peuvent assurer que tu payes pour ce que tu demandes. C’est ce que l’on voit beaucoup en Amérique Centrale.

En Afrique, tu trouves des organisations officielles comme le JARC (Jimma Agricultural Research Center) en Éthiopie mais quand on discute avec eux, on se rend compte que très peu de pépinières sont connectées à ces organismes gouvernementaux. Au Kenya, toutes les graines doivent provenir du Coffee Research Institute, mais quand ils regardent combien de plants sont achetés chez eux par rapport au nombre planté par les producteurs, ils se rendent compte que beaucoup proviennent d’autres pépinières que la leur.

Le rapport met aussi en avant l’importance de la diversité génétique pour la production d’arabica. Pourquoi est-elle si importante ?

D’une manière générale, plus un système est grand, et plus il est résilient. Le truc, c’est que les différentes variétés de l’espèce Coffea arabica proviennent d’un seul arbre. La diversité génétique de cette espèce est donc extrêmement faible, une maladie épidémique pourrait très bien être une catastrophe.

Accéder à une plus grande diversité génétique permet d’atténuer cette menace, en créant de nouvelles variétés à partir de variétés existantes, plus résistantes ou accommodées à la chaleur, aux maladies. L’idée, c’est que plus on a de diversité génétique disponible, et plus on connaît cette diversité, alors plus on a d’outils pour développer des variétés résilientes.

Est-ce que l’on pourrait voir certaines zones de production d’arabica remplacées par du robusta ?

On en voit de plus en plus, la vérité est que les espaces géographiques de basse altitude, qui étaient autrefois très adaptés à la culture de l’arabica le sont de moins en moins. On a des endroits au Nicaragua où il est possible de cultiver l’arabica à 700 mètres d’altitude, mais ça ne le sera plus d’ici quelques années. Ces plantations pourraient très bien être remplacées par du robusta.

Le robusta de qualité est encore une très petite niche. Notre rôle, c’est de transmettre aux producteurs et scientifiques le mouvement de l’industrie. Par exemple, en faisant en sorte qu’au Kenya ou au Rwanda, les producteurs travaillent sur de nouvelles variétés qui vont satisfaire les consommateurs, et cela pourrait très bien être des croisements avec l’espèce robusta.

Et concernant la découverte récente de l’espèce Coffea Stenophylla ?

D’un côté, c’est très excitant, mais les récoltes sont tellement basses… Regardons ça sous plusieurs angles. Est-ce que Coffea Stenophylla pourrait être commercialisée ? Oui, mais le coût serait extrêmement élevé. La production est très loin d’être aussi répandue que celle de l’arabica ou du robusta. Pour le moment donc, même si c’est encourageant, Coffea Stenophylla reste une curiosité plutôt qu’une espèce capable de remplacer ce que l’on connaît aujourd’hui.

D’un point de vue génétique, il faudrait plusieurs dizaines d’années pour se servir de Coffea Stenophylla pour renforcer les variétés actuelles d’arabicas. Donc, d’un côté la connaissance de cette espèce est vraiment géniale, mais je pense qu’il faut toujours garder en tête qu’un caféier met entre 18 mois et 3 ans à produire son premier fruit une fois planté.

Savoir si une variété est plus résistante, ou si elle produit plus abondamment qu’une autre, cela se vérifie sur un temps très long. Il faut 5 à 7 ans pour être sûr qu’une variété de café est plus productive et résistante qu’une autre, quand il faut à peine 3 mois quand on parle de maïs, ou d’un an pour les houblons.

N’est-ce pas un souci face à l’urgence climatique d’un côté, et la demande des torréfacteurs de l’autre ? 

Je pense que c’est vraiment différent en ce qui concerne les torréfacteurs. Prenons l’exemple de nos amis de Belleville ou Lomi à Paris. Si un producteur au Kenya avec qui ils ont l’habitude de travailler fait une mauvaise récolte l’année prochaine, ils pourront toujours se tourner vers un autre producteur, dans un autre pays. Ils pourront s’excuser auprès de leurs clients de ne pas avoir de café du Kenya cette année et proposer un super café du Burundi ou de Papouasie-Nouvelle-Guinée. Il y a toujours moyen pour les torréfacteurs de trouver un autre café qui satisfasse leurs besoins en termes de qualité, de profil aromatique.

Encore une fois, c’est bien le producteur qui est le plus soumis au risque. Car le producteur de Nyeri, au Kenya, comment va-t-il s’adapter, lui, au changement climatique ?

Il y a un outil de prédiction développé en Colombie, aclimatar.org. Cet outil permet d’établir plusieurs scénarios et de faire des prédictions. Si tu arrives à prédire avec plus ou moins de véracité ce qui pourrait se produire dans les 30 prochaines années, alors il devient possible de décider et de s’adapter. Par exemple, en améliorant l’ombrage de ta plantation ou toute autre chose qui améliorerait ta ferme. Encore une fois, tous ces outils sont disponibles selon un certain contexte, pour certains pays seulement.

Quand par contre il ne sera plus possible de s’adapter, mais qu’il faudra transformer, alors la seule solution sera de déplacer les plantations plus haut dans les montagnes, là où il fera plus frais. 

Est-ce qu’il existe des régions du Monde mieux armées que d’autres face au réchauffement climatique ?

Tout ça est vraiment difficile à prédire, tout comme les conséquences de ces changements sur le prix du café comme on peut le lire un peu partout. Certaines prédictions montrent que le Nicaragua pourrait perdre 40 à 50% de ses plantations. Cela aura bien sûr un gros impact sur le prix du café au Nicaragua, mais les dynamiques de prix sont très difficiles à prédire, surtout quand on parle de café de spécialité.

Des origines comme le Salvador pourraient disparaître, car le pays n’a pas de montagnes assez hautes pour continuer à produire du café comme il est possible de le faire aujourd’hui. Alors si tel est le cas, avec le temps, tu verras sûrement de plus en plus de cafés du Népal, qui a la chance d’avoir des montagnes bien plus hautes.

Si tu es dans le top de la qualité, tu es moins inquiet d’avoir à monter les prix, car ton public sera toujours prêt à payer. La vraie question est ce qu’il advient pour les producteurs de cafés servis dans la restauration classique, les fast-foods, les aéroports…