Une bonne variété de café fait-elle toujours un bon café ?

À en croire son compte instagram, pas de doute : Jérémie Vergne est passionné par les variétés de café. Régulièrement, il poste des histoires de variétés dont on a, parfois, jamais entendu parler. Dernièrement, les variétés sidra, SL-34 ou heirloom ont fait l’objet d’un post. Il y décrit les origines, l’histoire de la variété mais aussi le goût qui les caractérise.

L’occasion était trop belle de discuter avec ce passionné, responsable des formations chez Belco, pour répondre à cette question : est-ce qu’une bonne variété fait forcément un bon café ?

Jérémie Vergne, Responsable Formations chez Belco

Comment a démarré ta passion pour les variétés de café ?

Alors à la base, il faut savoir que je suis quelqu’un qui n’a pas beaucoup apprécié les études. À 15 ans, je suis parti en école hôtelière pour faire un BEP dans la restauration, suivi d’une mention complémentaire Barman en 1998, à Talence à côté de Bordeaux. Le café ne représentait qu’une journée d’étude sur toute l’année, le café n’était pas très noble et en tant que barman, on voulait surtout travailler des cocktails.

Il n’empêche qu’après cette année, je fais ma première expérience professionnelle dans un café du centre de Bordeaux, l’ancêtre des coffee-shops actuels. On ne servait pas d’alcool, il y avait un coin pour vendre du café en vrac, mais on n’allait pas plus loin que l’origine du café, au mieux. Quelques années plus tard, après avoir travaillé comme barman à Paris, je rejoins les Comptoirs Richard, c’est en 2007. 

C’est là-bas que je découvre les variétés de café, pendant une formation animée par Alexandre Bellanger, qui est l’actuel PDG de Belco, en 2009. Et là je prends une claque intégrale. Je vendais du café depuis 2 ans et je me rends compte que je n’y connaissais rien. Tout s’est accéléré quand je suis rentré chez Belco, en 2013, comme responsable des formations et de la qualité.

La claque, c’est de te rendre compte de la diversité du café ou plutôt une expérience sensorielle avec les variétés ?

C’est forcément un peu des deux, mais à l’époque il n’y a pas encore de grosse réflexion sur la torréfaction, en France en tout cas. En 2013, tu as l’Arbre à Café, Coutume, Terres de Café… mais la  maîtrise des profils de torréfaction d’un café reste encore quelque chose d’assez rare. On a des appareils sans thermostat, sans modulation de la chaleur et donc avec des goûts de torréfaction assez forts. La diversité gustative n’était pas aussi claire qu’elle l’est aujourd’hui, avec l’évolution des techniques de torréfaction mais aussi d’extraction. Tout ce qui permet, au final, de faire ressortir des goûts liés au terroir et à la variété plutôt qu’à la cuisson.

En formation, comment tu définis une variété de café ?

Quand je suis en formation, je pars de la base, c’est à dire l’ensemble des plantes, et je descends jusqu’à la spécificité de l’arbre et des espèces, comme l’arabica qui est une espèce botanique et non une variété. 

Dans le café, on consomme globalement 2 espèces : l’espèce coffea arabica et l’espèce coffea canephora. D’autres espèces sont consommées dans le monde mais de manière sporadique, comme le Coffea Libérica par exemple.

En tout cas, on voit rapidement que ça n’a pas vraiment de sens de comparer les variétés d’arabica au robusta, tout simplement car ce n’est pas la même échelle. Pour définir une variété de café, en formation, je commence donc par remettre les choses dans le bon ordre !

Et pourquoi on préfère en règle générale les variétés d’arabica ?

Parce que les variétés d’arabica ont quelque chose que les autres n’ont pas. L’arabica, c’est l’espèce botanique la plus douce, celle qui a le taux de sucre le plus élevé et le taux de caféine le plus bas. Au-delà de l’aspect excitant, la caféine a aussi un goût qui est celui de l’amertume et qu’on ne trouve pas très bon.

Les cafés de spécialité que l’on boit, toutes ces variétés d’arabica, elles viennent d’où ?

Tout vient de l’Ethiopie. J’ai tendance à appeler les cafés d’Ethiopie la branche “sauvage” car c’est là qu’on trouve la bibliothèque de tous les cafés de l’espèce arabica. Sur place il y a aussi le JARC, Jimma Agricultural Research Center, qui cherche et développe de nouvelles variétés. Mais toutes les variétés d’arabica ont bien une filiation directe avec l’Ethiopie.

Ce qui est intéressant, c’est que la production de café a réellement commencé au Yémen. Ainsi, tout vient d’Ethiopie mais ce que nous connaissons en majorité , et que je nomme comme la branche de production, a été récolté à partir du Yémen puis l’Indonésie pour la variété Typica ou l’île de la Réunion pour le Bourbon. C’est ensuite, à partir de ces deux variétés que la production s’est développée à travers le monde, créant des hybrides naturels comme le caturra (hybride de bourbon) ou le maragogype (hybride de typica) 

Mais il existe aussi une autre branche, qui est le fruit d’une hybridation entre un typica et une variété de robusta. C’est l’hybride du Timor, que l’on a commencé à coupler avec des variétés d’arabica, ce qui a donné les catimor, sarchimor ou castillo que l’on connaît aujourd’hui. 

Dedans, il y a donc encore un peu de robusta. Mais dans une époque de réchauffement climatique, les variétés naturelles sont plus fragiles que celles avec des ascendances de robusta. Pour nous, pays de consommation, la production est plus intéressée par ces hybrides, plus résistants.

J’ai parfois l’impression qu’on évoque les variétés comme une chose qui aurait poussé seule et qui se retrouve par magie dans un paquet de café.

Toi qui est allé en Ethiopie, tu as bien vu que l’on intervient finalement tout le temps. Toutes les variétés identifiées par le JARC, ce sont d’abord des variétés prises dans la forêt, dans l’espace naturel. Sauf que les années 50 ont été une grande période de maladie, notamment avec la rouille du caféier. Alors le JARC a commencé à s’intéresser aux arbres qui n’avaient pas de problème. Le JARC prend donc ces arbres, mais les clône pour la production. Ce qui crée de nouvelles variétés, avec une intervention humaine.

Comment sont créées ces nouvelles variétés ?

Là, je conseille à tous de lire un livre très intéressant sur le sujet qui est A Reference Guide to Ethiopian Coffee Varieties. L’auteur y explique comment on créé un hybride. Pour cela on va créer une fécondation en brossant un arabica avec le pistil d’un autre arbre, d’une autre variété. On créé alors une variété de 1ère génération, mais qui n’est pas encore la nouvelle variété. La nouvelle variété est celle qui va naître à partir des fruits de cette 1ère génération.

Qui nomme ces nouvelles variétés ? 

Ce sont le plus souvent les centres agronomiques des différents pays. Il y a beaucoup de diversité, prenons l’exemple le plus classique du pacamara. C’est un hybride créé au Salvador, un croisement de la variété pacas, un hybride naturel de bourbon, et de maragogype, un hybride du typica. Très simplement, on a donc appelé cet hybride pacamara. 

Après, comme en Ethiopie, tu as des variétés nommées par des numéros : 74110, 74110… Ces variétés sont nommées d’après l’année où l’arbre a été pris dans la forêt (1974), suivi du numéro d’échantillon à partir duquel on a créé la variété. (110, 140).

On voit bien avec ces noms que ce travail est bien celui de scientifiques. D’autres noms proviennent aussi de l’endroit où la variété a été trouvée, on va donner le nom du village, comme par exemple geisha qui est un village d’Ethiopie.

Et qu’est-ce qui m’assure qu’il s’agit bien de la bonne variété dans le paquet, la même que celle annoncée sur l’étiquette ? 

La bonne foi du torréfacteur et de l’acheteur ! Tu as certaines variétés reconnaissables à l’oeil nu, comme un maragogype qui présente de très gros grains. Visuellement, les geisha se reconnaissent aussi à leur forme très allongée et plate. Après tu prends la plupart des éthiopiens, on parle d’heirloom parce qu’on ne sait pas vraiment. Là, c’est vraiment une question de confiance

Les heirloom, c’est intéressant, ça pose la question suivante : toutes les variétés de café peuvent-elles faire du café de spécialité ?

Ce qui est important, c’est de réfléchir à l’impact de la variété dans la production. La production, c’est tout ce qui est relatif au lieu de production, comme la diversité des arbres qui permettent de donner de l’ombre aux caféiers, et qui vont participer à la richesse du sol, et donc apporter une spécificité à la tasse.

Après, il y a la question de la récolte. Si tu ne payes pas suffisamment les ouvriers, qui travaillent au poids, la récolte sera sûrement moins qualitative. Et puis tu as le séchage, et puis le stockage. On parle beaucoup de la variété et du process dans le café de spécialité, mais on ne parle quasiment jamais du dry mill, c’est à dire le moment où on reçoit les cerises, où l’on trie pour constituer le sac de café vert. Et tu vois bien qu’à la fin, si le café est mauvais, ce n’est pas forcément de la faute de la variété. Si chaque arbre est bien entretenu, que toutes les étapes sont réalisées avec soin, dont la logistique qui est un des métiers de Belco, un mauvais café peut très bien devenir un très bon café.

Et les relations entre le producteur et l’acheteur dans tout ça ?

Très important ! La qualité est la somme d’une bonne culture et d’une bonne relation entre l’acheteur et le producteur. Car un producteur qui ne sait pas à qui il vend, il ne va pas s’embêter à investir. Il y a donc la question de la juste rémunération pour le producteur. Un producteur a besoin d’un marché pour vendre un produit qualitatif.

Aujourd’hui, si un producteur passe par le marché classique, produire du café coûte plus cher que ce que tu en tire financièrement. Il faut donc aussi des gens prêts à acheter de la qualité, et donc pousser le producteur à faire du café de spécialité, comme Negussie Tadesse qui sait qu’il va pouvoir vendre son café à un bon prix à Belco.

On voit certaines variétés devenir à la mode, comme les geisha. Mais du coup, je peux très bien tomber sur un mauvais geisha ?

Bien sûr, mais en réalité… non, parce que les gens qui font du geisha sont déjà dans une démarche qualitative et ne vont pas faire du geisha pour faire un mauvais café. Au Panama où on trouve beaucoup de geisha, avec la concurrence, on a plutôt intérêt à faire quelque chose de qualitatif. 

C’est donc impossible de se baser sur la variété pour choisir un café ?

Non car normalement, si on prend l’exemple du sucre, tous les cafés de spécialité sont doux et sucrés. Un café de spécialité, c’est un café uniforme, sans défaut et qui est doux, plein de sucrosité. Donc si tu souhaites boire un café sucré, tu peux plus simplement regarder les cafés bien notés selon le protocole de la SCA.

Choisir un café, ça pose la question de l’ensemble, dont les conditions de production. Par exemple un café chocolaté, c’est un café qui pousse à une altitude moyenne, comme les catuai ou bourbon du Brésil. Plus tu montes, plus le café mûrit et plus il est fruité, comme en Afrique de l’Est avec les SL du Kénya, les caturra du Guatemala. Là encore, je peux pas te dire que le bourbon est toujours rond et sucré : ça dépend. Un café de moyenne altitude aura toujours un goût plus chocolaté qu’un café de haute altitude.

Alors si ce n’est pas que la variété, qu’est-ce qui fait un bon café ?

Je voudrais te parler d’Emilio Lopez, au Salvador. Sa ferme se trouve dans la région de Santa Ana. Et bien chez lui, la variété peut prendre son sens parce que sur le même espace géographique, il aura un caturra, un bourbon, un SL. 

Mais avec des process derrières : un SL nature, un bourbon lavé, un caturra honey… On a un même espace géographique, mais avec plusieurs variétés et les process qui conviennent, et donc une vraie diversité de tasse.

La réalité d’un bon café, c’est donc surtout, pour continuer avec l’exemple d’Emilio Lopez, d’avoir un super caturra lavé d’Emilio Lopez, cultivé à Santa Ana au Salvador. C’est ce qui représente tout ce qui est beau dans un excellent café de spécialité : la traçabilité, pour comprendre tout ce qu’on a dans la tasse.