Plantation de Bourbon Pointu à La Réunion
Plantation de Bourbon Pointu à La Réunion

Pourquoi le Bourbon Pointu est-il un café si spécial ?

Aujourd’hui plus connue pour sa culture de la canne à sucre, l’île de la Réunion cultive aussi l’une des variétés de café parmi les plus réputées au monde, et ce depuis plus longtemps encore que la canne : le Bourbon Pointu. 

Cette variété, dont l’histoire est intimement liée à celle de l’île, aurait pu disparaître si, au début des années 2000, la Coopérative Bourbon Pointu n’était pas née pour reprendre la production en main.

Jean-Pierre Dami y travaille depuis dix ans. Formé en torréfaction, barista et méthodes douces à la Caféothèque de Paris, il a complété sa formation avec plusieurs modules de la SCA. Aujourd’hui, il est le responsable qualité de la coopérative, la seule de l’île à produire aussi bien ce café prisé des torréfacteurs les plus exigeants.

Quel est le point de départ de la Coopérative Bourbon Pointu ?

Des japonais avaient entendu parler dans des livres d’histoire d’un très bon café à la Réunion et sont venus à sa recherche. Un café qui n’était plus produit depuis les années 1950. Et comme ils n’en ont pas trouvé, ils sont allés voir le Conseil Régional pour voir comment relancer ce café. C’est ce qu’il s’est finalement passé avec la création de la coopérative en 2002, avec Monsieur Frédéric Descroix, du CIRAD, à sa tête. Ce très bon café qu’ils cherchaient, c’était le Bourbon Pointu.

Quelles ont été les étapes pour relancer la production de Bourbon Pointu ?

D’abord, il a fallu trouver des pieds mères, destinés à fournir les cultivars, des plants qui vont donner en qualité et en quantité. Pour ça, il a fallu prospecter dans les jardins créoles. On a trouvé environ 2000 plants de Bourbon Pointu, à priori car ces plants ont été récolté uniquement selon leur physiologie. Après plusieurs tests en laboratoire, 600 plants ont été gardés. Et sur ces 600 plants, le tri s’est fait sur le goût en tasse. 4 pieds ont finalement été retenus, et ce sont ces 4 pieds qui permettent aujourd’hui de fournir les plants aux producteurs.

Ensuite, il a fallu trouver le bon terroir pour que ces plants s’épanouissent, grâce au CIRAD. Il y a eu une phase expérimentale, de 2002 à 2007, qui a consisté à planter des arbres un peu partout à la Réunion, puis de voir lesquels donnaient le meilleur résultat en tasse. Cela a permis de sélectionner un terroir bien défini, dans l’ouest jusqu’au sud de l’île, entre 700 et 1000 mètres d’altitude, pour la production de Bourbon Pointu. Il y fait entre 15 et 19°C de moyenne annuelle, avec une certaine pluviométrie et un certain ensoleillement. 

Enfin le dernier truc, c’est la qualité du sol. Aujourd’hui, tout producteur qui veut se lancer dans la production de Bourbon Pointu doit faire valider son sol par la coopérative. Seuls 2 sols sur les 49 types de sol qui constituent la Réunion permettent de produire des grands crus. 

Si le producteur est dans la bonne hauteur, avec le bon terroir, alors on lui fournit les plants et il est coaché de la plantation à la cueillette, le tout dans une démarche d’agriculture raisonnée.

Le séchage de Bourbon Pointu à La Réunion
Le séchage de Bourbon Pointu à La Réunion

La coopérative vérifie toujours que tous ces éléments sont rassemblés ? 

Oui, l’idée est de ne pas perdre de temps. On ne va pas lancer des gens dans la production sur un terroir qui n’est pas bon. On fait en sorte que tous les paramètres soient réunis pour produire du Bourbon Pointu et garantir une certaine qualité, et cela a été le cas pour les 55 producteurs qui travaillent aujourd’hui avec nous.

Qu’est-ce qui fait du Bourbon Pointu un si grand café ?

Déjà, son goût. C’est la première chose, principalement grâce au sol de la Réunion. Après la récolte, nos cafés sont traités par voie humide, cela permet de travailler leur acidité, et de développer les notes de mandarine d’orange ou de pamplemousse caractéristiques du Bourbon Pointu. C’est aussi un café faible en caféine, peu amer.

Ensuite, il y a le sérieux de la Coopérative Bourbon Pointu. Chaque lot est identifié par parcelle et par jour de récolte. Par exemple, Monsieur Payet a deux parcelles, alors on va séparer les lots de ses parcelles. Et un lot, c’est la récolte d’une parcelle à un jour donné. Chaque lot qui entre à la coopérative est suivi jusqu’à la torréfaction. On est actuellement au stade où on peut vendre du café de Monsieur Payet cueilli le 21 octobre 2020, sur la parcelle identifiée à telle altitude. C’est même plus du microlot à ce niveau !

La production a toujours été gérée de cette manière ?

Dans les archives, on retrouve déjà des gens qui à l’époque, au XVIIIème et XIXème siècle, avaient dit que le café à la Réunion devait être fait de telle manière, à tel endroit et à telle altitude. C’est extra parce que c’est une vision de la façon dont on travaille aujourd’hui pour produire ce grand café. 

Ce qui est important de dire par contre, c’est que le peuplement de l’île de la Réunion, qu’on appelait l’île Bourbon, est dû à la culture du café. Tout le monde pense que La Réunion a été peuplée avec la canne à sucre, mais les aventuriers sont arrivés quand ils ont découvert les caféiers d’ici, de l’espèce Mauritiana. Ils ont essayé de les domestiquer et en ont envoyé au Roi de France. Il avait très mauvais goût mais cela lui a donné l’idée d’utiliser cette colonie pour faire du café. Des plants ont été envoyés du Yémen, et ce qui change par rapport à aujourd’hui, c’est que pour planter tout ça et produire, il a fallu des esclaves…

L’histoire du Bourbon Pointu expliquerait aussi l’histoire de la France avec la Réunion ?

Plus ou moins, en tout cas elle en fait pleinement partie. Il faut comprendre qu’au début, le café de la Réunion est un café importé du Yémen, le moka. D’ailleurs, on dit souvent ici que quand on boit un café, on boit un ti moka

Ce café importé du Yémen était un Bourbon Rond, qui a connue une mutation en 1770, dans une pépinière. La personne qui a trouvé ce plant l’a trouvé beau, l’a mis de côté et s’est rendue compte qu’en hiver, quand les Bourbon Ronds perdaient leurs feuilles, celui-là tenait bien le froid, et c’était le Bourbon Pointu.

Quand le Bourbon Rond a commencé à avoir des problèmes de production, avec la rouille, avec les cyclones… la production a diminué. La France avait perdu Saint Domingue qui fournissait le sucre en métropole. Alors la France s’est dit qu’il serait bien d’utiliser la Réunion pour faire du sucre plutôt que du café. Donc, la France a enlevé les caféiers de Bourbon Rond pour planter de la canne à sucre, mais les graines de Bourbon Pointu ont été gardées et plantées plus haut, dans les hauteurs, là où la coopérative produit aujourd’hui son café, sur environ 6 000 hectares. Pour en revenir aux japonais, c’est quand ils ont lu cette histoire qu’ils sont venus à la Réunion, car on parlait déjà du Bourbon Pointu pour son goût, pour sa finesse.

Est-ce que le Bourbon Pointu aurait pu disparaître ?

Oui, mais les créoles en général aiment bien avoir un plan de café chez eux. C’est comme ça qu’on a récolté les 2000 plants pour relancer la production, le créole aime bien avoir son plan de café comme il aime bien avoir son pied de piment dans son jardin, en gros toutes les épices dont il a besoin. Chez les particuliers, le café est traité en méthode naturelle, séché directement sur la tôle des toits et quand il est sec, le café est dépulpé dans un moulin à maïs puis torréfié, à la marmite. Quand je dis torréfié, je dis plutôt grillé ! Si la variété n’était plus produite à des fins commerciales, elle existait toujours dans les jardins.

Pour la coopérative, il a toujours été question de faire du café de spécialité ?

Oui, les personnes qui goûtent le café de la coopérative ont été formées par le CIRAD à l’évaluation sensorielle. Ce jury de 8 personnes goûte chaque café qui entre à la coopérative et les note selon plusieurs critères, comme l’intensité aromatique. Cela se fait sur une grille empruntée à l’oenologie que l’on a transposé au café. 

Ce qui est intéressant, c’est que toutes ces saveurs que l’on découvre en bouche, elles ont été référencées il y a quelques temps par le Dr. Piccino. Il a fait sa thèse sur le rôle des constituants chimiques du café vert, du terroir et des traitements post-récolte sur la qualité aromatique du Bourbon Pointu. En résumé, il a recensé et classé toutes les molécules du Bourbon Pointu. Et derrière chaque goût, il a retrouvé les molécules. Par exemple, le goût “café” est dû à 36% des molécules du Bourbon Pointu, le goût “chocolat” à 15% et le goût “citron/agrumes” à 11% des molécules.

Ces données sont devenues des standards de qualité ?

Non, en réalité ce qui nous conforte c’est que les acheteurs de café de spécialité retrouvent les mêmes notes que nous à la dégustation. Cela prouve que le travail fait avec notre jury est correct et que la qualité est bien au rendez-vous.

Est-ce que la production de Bourbon Pointu est suffisante pour satisfaire la demande ?

Heureusement ou malheureusement, selon de quel côté vous vous trouvez, on ne produit pas assez de Bourbon Pointu. On refuse beaucoup de ventes chaque année, ce qui commence à être frustrant car on n’arrive qu’à satisfaire 1 demande sur 5. Ce n’est pas que des demandes d’acheteurs français d’ailleurs, on vend en France comme cette année au Meilleur Ouvrier de France Vincent Ballot, mais aussi en Grande Bretagne, aux Etats-Unis, au Japon, en Suisse, Singapour et Taïwan.

C’est pour cela que le Bourbon Pointu est assez cher ?

Cher… il faut garder en tête qu’on est en France et que la main d’oeuvre française n’est pas la même que dans d’autres régions du monde, ce qui explique principalement le prix du Bourbon Pointu aujourd’hui. Même s’il s’agit principalement de plantations familiales et qu’il n’y a pas besoin d’embaucher de saisonniers pour cueillir les cerises, la Coopérative embauche des employés, avec des charges comme toute entreprise française. 

Quels sont aujourd’hui les challenges des producteurs ? 

Dans la zone dont on parle, celle du terroir favorable, on est encore assez bien protégé du réchauffement climatique grâce à la casquette nuageuse qui nous protège encore un peu des hausses de température. Alors même si les températures montent, à cette altitude on n’est pas encore trop touché. On a eu plus de rouille que d’habitude ces dernières années, mais vraiment dans les zones de plus basse altitude et encore, pas pour tout le monde. 

Est-ce qu’on pourrait produire du Bourbon Pointu ailleurs qu’à la Réunion ?

Déjà, c’est compliqué en dehors de la coopérative. Le plus important pour nous, c’est la traçabilité, jusqu’au jour de récolte, et la garantie de la qualité. Beaucoup de gens se sont mis à faire du Bourbon Pointu sur l’île, mais sans le suivi de la coopérative. Ils surfent sur notre notoriété et le plus souvent, ça nous dessert, nous et la réputation du Bourbon Pointu. Cela a beau être du Bourbon Pointu, s’il a été mal récolté, mal dépulpé, mal torréfié… c’est difficile d’avoir un bon produit. 

Alors si on le produit ailleurs qu’à La Réunion… c’est encore une autre histoire. Il y a eu quelques essais par le passé, notamment en Nouvelle-Calédonie. Mais le goût était trop différent à cause du sol. Produire ailleurs qu’à la Réunion pourrait avoir du sens, mais alors le goût du Bourbon Pointu serait différent, ce ne serait plus le Bourbon Pointu de La Réunion.