Johan Ekfeldt, face au torréfacteur de Gringo Nordic, à Göteborg
Johan Ekfeldt, face au torréfacteur de Gringo Nordic, à Göteborg

Pour Johan Ekfeldt, le café de spécialité est “un très bon véhicule pour élever les consciences”

Johan Ekfeldt est le fondateur de la torréfaction Gringo Nordic. Nous l’avons rencontré au lendemain de notre interview avec Christian de Morgon Coffee Roasters, pendant l’une des dernières étapes du Belco Euro Tour.

Johan a fondé Gringo Nordic en compagnie de sa femme, Pernilla, et de son associé Magnus, en 2018, à Göteborg. Mais, son histoire avec le café de spécialité commence bien plus tôt ! En 2004, il fonde Johan & Nyström, la première torréfaction de café de spécialité suédoise. Après avoir quitté la société, Johan décide de monter sa propre ferme à Morales, en Colombie : la Finca La Tierra.

Avec une expérience aussi large, de la production à la torréfaction, Johan était tout naturellement choisi pour échanger autour de l’avenir du café de spécialité !

Pendant 10 jours, Le Filtre a suivi Nicolas Pourailly pour la 1ʳᵉ édition du Belco Euro Tour, à la rencontre de 10 torréfacteurs européens pour coconstruire le café de spécialité de demain. Interview éditée par Le Filtre.

Bonjour Johan, quelle serait ta définition du café de spécialité ?

C’est presque une question philosophique ! J’ai peur de ne pas trouver de punchline pour te répondre… Depuis la création de Gringo, en 2018, nous sommes passés d’une industrie de geeks, à des consommateurs de tout âge, qui veulent simplement boire une meilleure tasse de café. Cela fait une grande différence, car je crois que pour la plupart d’entre eux, le retour en arrière n’est pas possible.

Le café est devenu un produit appréciable, et n’est plus uniquement un produit de consommation. Pour moi, voilà donc ce qu’est le café de spécialité, un produit qui se différencie d’autres cafés par ses qualités.

Johan Ekfeldt, fondateur de Gringo Nordic
Johan Ekfeldt, fondateur de Gringo Nordic

Penses-tu que la manière de le produire et de le vendre est durable ?

Elle devrait l’être ! Ça fait un moment que je suis dans cette industrie, et je me souviens de l’arrivée des cafés Fairtrade. Quand ils sont arrivés, tout le monde voulait un café équitable. Et puis cette histoire s’est répétée avec l’arrivée des cafés bios. Et, aujourd’hui, aucun de nos clients ne demande de cafés bios. Parce qu’ils nous font confiance, à nous comme au concept de café de spécialité.

Dans les faits, on n’a jamais réellement expliqué à nos consommateurs pourquoi le café de spécialité était meilleur que les autres, d’un point de vue environnemental. Ce que je leur raconte, c’est que beaucoup de producteurs que je connais souhaitent minimiser l’utilisation d’intrants chimiques. Parce que c’est cher, mais il faut aussi savoir que produire un café bio est beaucoup plus complexe, il faut des connaissances. 

J’ai une ferme en Colombie, à Morales. Là-bas, tous les magasins sont des magasins de fertilisants. Acheter des fertilisants organiques y est très compliqué. Alors, on peut penser que le café de spécialité est plus durable, mais je ne peux pas le garantir.

Il y a beaucoup de fermiers, de pays producteurs… Même si je crois qu’on est les ‘good guys’ dans l’histoire, et qu’à chaque étape de la production, chacun fait de son mieux pour être durable, je ne peux pas l’assurer.

Quelles sont les informations qui se retrouvent toujours sur tes paquets ?

Sur chaque paquet, il y a quelques mots sur nous, sur notre manière de torréfier, d’acheter du café. Et puis, on garde un peu de place pour raconter l’histoire du café, de façon à ce qu’elle soit accessible. C’est difficile, parce qu’il y a tellement à raconter… mais je ne sais pas vraiment jusqu’où les clients sont prêts à aller dans leur lecture… 

Ensuite, il y a bien sûr toutes les informations sur les fermes : le nom du fermier, l’altitude de sa ferme, la variété, le process, les notes de dégustation. Je me pose la question de récolter d’autres informations, car peut-être qu’il n’y a que 2 personnes qui lisent vraiment tout cela ! 

C’est pour cela que je fais au plus simple. Le plus important, pour moi, c’est de torréfier des super cafés, des cafés “juicy”, avec une histoire courte, du moment qu’elle est vraie.

Aujourd’hui, que cherchent tes clients en allant chez Gringo ?

Beaucoup de nos clients veulent simplement acheter un bon café, quelque chose de doux plutôt qu’amer. C’est le sujet sur lequel je me concentre. On parlait de durabilité, je sais que j’achète de bons cafés. Je sais que je veux les payer au meilleur prix, à des fermiers en qui j’ai confiance. Mais le plus important, c’est ce que les clients veulent.

Il y a tellement de choses que j’ignore sur les fermes, et même sur ma propre ferme… Si je souhaite en parler, je dois y être quotidiennement. Avoir une ferme ouvre tellement de perspectives sur les problématiques des fermiers… Tout le monde devrait avoir une ferme, même juste un moment, pour s’apercevoir des challenges auxquels ils sont confrontés. 

Le process de cupping, dans les bureaux de Gringo Nordic
Le process de cupping, dans les bureaux de Gringo Nordic

Quel est, pour toi, le futur du café de spécialité ?

Soyons une partie de la solution, et pas du problème ! Le café de spécialité est établi sur la qualité, et c’est bien sûr la plus belle chose qui soit. Mais admettons qu’il soit aussi une solution pour proposer une agriculture durable. Il est peut-être temps d’aller au-delà de la qualité, des standards établis par l’industrie du café de spécialité, et qui ne sont basés que sur la qualité.

Grâce aux importateurs, on peut rencontrer certains producteurs, et créer une relation ensuite, en achetant les cafés de ceux-ci d’année en année. Mais, on sait rarement ce qui a évolué dans la ferme. Parfois, on leur rend visite une fois, et c’est en revenant des années après que l’on se rend compte de tout ce qui a changé, comme un nouvel entrepôt pour le stockage, de nouveaux lits de séchage, etc.

Qu’est-ce qu’un importateur pourrait t’apporter afin de mieux comprendre ton impact, ce qu’il se passe dans les fermes, et le communiquer aux clients ?

Que l’importateur nous informe de tout ce qui a pu changer depuis notre dernier achat, ce serait super. Et, même pour les clients, ceux qui achètent régulièrement le café de ces producteurs.

Par exemple, j’achète un café du Pérou, le même depuis quatre ans. Eh bien, pour communiquer, j’ai toujours les mêmes photos, comme si rien n’avait changé depuis la 1ʳᵉ année.

C’est de plus en plus important parce que l’industrie change. On est maintenant loin de la version poétique du café de spécialité. Les clients ne veulent plus de la fiction, ils veulent la vérité et savoir ce qu’il se passe à l’origine.

S’il existait un indicateur pour montrer les pratiques d’un producteur à la ferme, serait-il intéressant pour toi et tes clients ?

Bien sûr, dans le sens où ce que les producteurs font dans les fermes est souvent génial. J’ai acheté des cafés à Cafesmo, au Honduras. Et ils ont fait quelque chose d’intéressant : ils ont interviewé tous les producteurs avec lesquels ils travaillent. Toutes les informations que l’on trouve dans ces vidéos, ce sont les mots des producteurs. C’est un super point de vue !

Ils expliquent pourquoi ils aiment le café, l’histoire de chacun de leur café, en toute transparence, face aux challenges qui les attendent. Pour la 1ʳᵉ fois, je voyais une représentation on ne peut plus réelle des fermes. Et c’est important de savoir, encore une fois, ce qu’il se passe dans les fermes. Même si c’est fait de manière brute, on veut savoir la vérité plutôt que les bullshits.

Serais-tu aussi intéressé par connaître l’empreinte carbone de tes cafés ?

Oui, bien sûr. On a un consultant qui mesure notre impact total ici à la torréfaction. Mais ce serait une bonne chose d’avoir cette empreinte à tous les niveaux de la chaîne. 

Que penses-tu des labels ?

Je pense qu’ils ont une raison d’exister, dans le sens ou ils sont souvent le point de départ pour que les consommateurs aient une prise de conscience. Et, je suis très heureux que le label bio existe. Parce qu’en dehors du café, je n’achèterai jamais de fruits ou légumes qui ne sont pas labellisés “bio”, ou alors ces fruits et légumes viendront de mon jardin !

Johan Ekfeldt, en train de torréfier
Johan Ekfeldt, en train de torréfier

Serait-il intéressant d’y ajouter une infographie de tous les acteurs de la chaîne du café ? 

Cette chaîne est longue, et chaque partie impliquée a tellement d’impact sur la qualité… Ce serait bien sûr très intéressant, car chaque partie de cette chaîne a de la valeur et, pour moi, il n’y a absolument aucune raison de mettre de côté le moindre maillon de celle-ci.

J’ai parfois acheté des cafés en direct. À chaque fois, j’ai dû trouver la bonne personne pour l’exporter. Et, personne n’a la connaissance pour tout faire correctement, à mon avis.

À ton avis, les consommateurs sont-ils au courant des challenges sociaux et environnementaux qui touche toute la chaîne du café ?

Je crois que oui, beaucoup plus qu’on ne le pense. C’est pour cela que beaucoup de personnes préfèrent les cafés bios, et viennent ensuite au café de spécialité. Aujourd’hui, beaucoup plus qu’avant, on me pose tout un tas de questions.

Les clients lisent et s’intéressent au café de spécialité. Vu comme les gens sont accros au café, le café de spécialité est un très bon véhicule pour élever les consciences sur ces sujets.

Et je suis sûr que beaucoup achètent du café de spécialité parce qu’ils comprennent l’impact de leur achat. Cela fait partie intégrante du concept de café de spécialité : supporter des petites entreprises qui supportent de petits producteurs, qui tendent à mieux prendre soin de leur ferme, loin de la monoculture.

Si on devait faire une seule chose, maintenant, pour l’avenir du café de spécialité. Ce serait quoi ?

Dernièrement, on a eu accès à des cafés complètement fous, avec l’arrivée des fermentations carboniques, anaérobiques. Mais, je pense qu’aujourd’hui, on a besoin de cafés de spécialité plus standardisés, de très bons cafés lavés, en grande quantité. On n’a pas toujours besoin de microlots qui changent tout le temps.

Du côté de l’environnement, on a des choses plus importantes à accomplir. Tous ces cafés étaient super au début, mais maintenant, ils me lassent. On a juste besoin d’une excellente expérience gustative !