Pierre et Catalina, fondateurs de Cata Export
Pierre et Catalina, fondateurs de Cata Export

Exporter du café de spécialité colombien avec Cata Export

Troisième pays producteur de café après le Brésil et le Vietnam, la Colombie occupe une place particulière parmi les pays producteurs. La grande variété de climats que l’on y trouve permet au pays de produire du café presque toute l’année dans des conditions exceptionnelles.

Mais cette année, la petite saison de récolte d’avril et mai que les colombiens appellent traviesa à été marquée par une vague de protestations contre le gouvernement colombien. Le blocage des routes terrestres, déjà peu développées, a empêché le transit du café jusqu’au port de Carthagène, lui aussi bloqué ce qui a entraîné un retard important dans l’exportation des cafés de Colombie vers l’Europe.

Face à cette situation inédite, Pierre et Catalina ont pu compter sur la qualité des relations qu’ils chérissent depuis la création de Cata Export, leur entreprise spécialisée dans l’export de café colombiens. Depuis deux ans et demi, le couple met tout en œuvre pour proposer parmi les meilleurs cafés colombiens et faire la promotion d’une nouvelle génération de producteurs.

Bonjour Pierre, qu’est-ce que Cata Export ?

C’est une équipe de 2 personnes, spécialisée dans l’export de cafés de spécialité colombiens. Catalina est designer de formation, et moi à la base je suis musicien. On est arrivés avec nos meilleures intentions il y a deux ans et demi, et aujourd’hui Cata Export travaille avec une cinquantaine de torréfacteurs en Europe tels que MOK, Colonna, Terres de Café, 19 Grams, Watch House, Pressco, Friedhats ou encore Perla Negra.

On fait également la logistique pour des importateurs européens ainsi que des producteurs colombiens. En plus de la qualité en tasse, on a une vraie volonté sociale et on soutient donc les jeunes, les femmes et les minorités ethniques productrices de Colombie. Autant de facteurs qui nous ont permis de recevoir le Prix National d’exportateur 2020 des mains du Président colombien.

En quoi consiste votre activité plus précisément ? 

De manière générale, la chaîne du café est longue et fragmentée : un importateur en France a besoin d’un exportateur en Colombie qui lui-même fait appel à un tiers pour le sourcing.

Nous, on a la capacité de faire absolument tout, entre la ferme et le torréfacteur, que ce soit au niveau sourcing, logistique ou administratif, c’est d’ailleurs pour ça que l’on se considère comme un pont et non comme un intermédiaire. 

Toute l’année on est en visite dans les fermes et en contact avec des producteurs qui ont une vraie volonté de sortir des cafés hors du commun en provenance de Huila, Cauca, Sierra Nevada, Quindio, Risaralda ou encore Tolima. 

Une fois  le café récolté et séché, on supervise toute la partie tri du café avant l’export, dans un centre à Bogota, et puis toute la partie douane des containers au port de Carthagène jusqu’à leur réception en Europe, au Havre ou à Londres où on fait nous même l’importation avant d’envoyer nos cafés chez les torréfacteur.

C’est quoi pour vous, un café hors du commun ?

C’est tout ce qui va sortir du profil classique colombien, avec des notes de chocolat, noisette et fruits rouges. Evidemment on en propose aussi car c’est un profil super pour toutes les boissons à base d’espresso, mais on cherche surtout des cafés où tu sens qu’il y a une vraie complexité, rien qu’au nez, comme par exemple les cafés de Nestor Lasso qui ont des notes plus épicées.

Après, on n’est pas spécifiques sur les notes. Beaucoup de producteurs nous demandent ce que l’on cherche comme profil, comme variété. À ce niveau-là, on ne fait aucune discrimination. On est aussi content avec un bon castillo lavé qu’avec un geisha naturel, il faut juste qu’en tasse, ça donne quelque chose de spécial avec des notes qui ne soient pas si communes que ça.

Qu’est ce que représentent les producteurs de café de spécialité, à l’échelle de toute la production colombienne ?

Par rapport à tout ce qui est produit en Colombie, ça reste une petite poignée. La Colombie est le troisième producteur de café mondial, et le deuxième producteur d’arabicas puisque finalement le Vietnam produit essentiellement du robusta.

Le but de la Fédération Nationale des Cafeteros, qui regroupe les producteurs traditionnels, c’est de faire du volume et si par exemple ils font 100 millions de tonnes une année, le but sera d’en faire 105 l’année suivante. Une fois cet objectif établi, il descend tout le long de la chaîne de production, et tout est mis en œuvre pour l’atteindre  avec pour conséquence l’utilisation d’engrais chimiques ou la coupe d’arbres d’ombrage pour exposer la plante au soleil et la stresser pour qu’elle produise plus, quitte à appauvrir les sols et détruire la biodiversité.

A côté de ce modèle, tu as une nouvelle génération de producteurs qui émerge, avec les enfants de ces producteurs, qui comprennent ce qu’est le café de spécialité, qui ont des comptes Instagram et voient ce qui se fait en Europe et qui ne veulent pas de l’image du pauvre paysan colombien avec sa mule dans les montagnes. Là, c’est un clash familial où les jeunes doivent prouver à leurs parents et grands-parents que le café de spécialité a un réel impact économique sur la famille, ils commencent à changer petit à petit les process, et à vendre leurs cafés à un prix plus élevé et surtout, un prix stable, indépendant des fluctuations du prix de la Bourse.

En ce moment, les prix à la Bourse sont assez hauts. Qu’en pensent les producteurs avec qui vous travaillez ?

Le problème quand tu vends à la Fédération Nationale, c’est que le prix de vente change trois fois par jour. En ce moment, tout le monde est effectivement content parce que le prix du café est super haut, il a augmenté de 150% en 2 ans. Mais ça ne durera pas éternellement. Nous, on n’a jamais changé nos prix depuis 2 ans, que ce soit pour les producteurs comme les torréfacteurs en Europe.

L’effet pervers de ces prix hauts cependant, c’est que ça démotive certains producteurs à faire des lots d’exception, car ils peuvent désormais gagner la même somme d’argent qu’il y a un an mais en vendant le café mouillé, sans le sécher. C’est une partie aussi cruciale que délicate dans la production de café de spécialité, et c’est un peu comme si on vous proposait de faire un temps plein payé 40€ de l’heure ou un mi-temps payé 25€ de l’heure, alors que jusqu’à présent votre salaire divisé par 2 était de 20€ par heure. Selon votre motivation et votre passion réelle à produire des cafés de haute qualité vous choisirez l’option 1 ou l’option 2. 

Tout ça a été un sacré test pour la solidité de nos relations avec les producteurs, car beaucoup auraient pu être tentés par la facilité, et certains ont bien sûr essayé d’augmenter leurs prix même si cela ne se justifiait pas. Mais la majorité des producteurs avec lesquels on travaille continuent de travailler avec nous dans les mêmes conditions et on les remercie pour ça. 

Qu’est-ce qui fait de la Colombie un pays si spécial pour ces cafés extraordinaires ?

Déjà, la Colombie a deux saisons pluvieuses qui permettent deux récoltes. La variété de microclimats offre aussi des conditions exceptionnelles et la région du Huila est le meilleur exemple que je puisse te donner.

Le Huila est divisé en trois zones de production, le nord, le sud et l’ouest. Ces trois zones ne sont jamais en récolte au même moment, elles se chevauchent : quand le nord a terminé sa récolte principale, le sud commence la sienne et quand le sud a terminé, l’ouest commence. Et ça, c’est juste à l’échelle d’une région !

En Colombie, il y a un ping-pong permanent entre une région en récolte principale et une autre en récolte secondaire. On pourrait simplifier et dire que la petite récolte commence en mai-juin et la principale vers octobre-novembre, ce qui est plus ou moins le cas, mais même au sein des régions, d’une ferme à l’autre, tu as des micro-climats qui changent les périodes de récolte.

On est sur des altitudes assez hautes, avec 3 cordillères et le massif de la Sierra Nevada. C’est une terre volcanique, avec des sols supers riches, et une faune et une flore quasiment inégalées. C’est chacun de ces facteurs réunis, en plus de l’humidité, qui font de la Colombie une machine à produire du café.

L’autre qualité vient du fait que tout est fait à la main. Quand tu vois les recolectores travailler sur des pentes pas possibles où tu as juste du mal à tenir debout, eux sont là en train de cueillir du café puis descendent leurs sacs de 50 kilos comme si de rien n’était, à l’inverse du Brésil où les récoltes sont faites à la machine. En Colombie, c’est plus lent et plus coûteux mais tu as aussi une qualité en tasse souvent meilleure.

Ce travail de collecte, est-ce que c’est un travail que les Colombiens veulent toujours faire ?

Les Colombiens ont de moins en moins envie de le faire, parce que c’est dur. C’est un travail saisonnier qui paie bien, maintenant surtout assuré par des vénézuéliens exilés en quête d’une vie meilleure. Mais avec le Covid et la fermeture des frontières, beaucoup de caféiculteurs ont vu leur source de main-d’œuvre se réduire, accusant donc des pertes de production et une hausse des coûts de production.

Je suppose aussi que les dernières manifestations qui ont secoué le pays n’ont pas aidé ? 

La Colombie a effectivement connu beaucoup de protestations suite à la décision du Président d’augmenter les taxes, sur les services publics comme l’eau et l’électricité, mais aussi sur l’arrivée des devises étrangères en Colombie.

Ni une ni deux, ça a clashé et en effet, le pays a été paralysé plusieurs mois et les routes étaient bloquées. Ça n’empêchait pas forcément les gens d’aller travailler, en réalité, mais rien n’entrait ou ne sortait des villes. Alors dans ces conditions, à quoi bon produire du café si personne ne peut l’acheter ?

Le port de Buenaventura, qui représente 70% de l’import-export du pays et qui est le port principal de Colombie, a été fermé pendant 2 mois.

Comment cette situation a-t-elle impacté Cata ?

Alors, franchement on pensait être passés entre les mailles du filet. On avait trouvé des systèmes pour récupérer des échantillons avec des voitures qui passaient dans des routes de montagne, tout notre plan était bien établi.

Finalement, le projet de loi a été abandonné, les routes se sont débloquées et on a fait venir nos cafés sur Bogota, sauf qu’avec la fermeture du port de Buenaventura, tout le trafic a été redirigé vers le port de Carthagène, celui qui dessert l’Europe ! 

Carthagène a été bloqué et les bateaux qui avaient pour Itinéraire Le Havre – Panama – Carthagène – Le Havre au mois de juillet ont tout simplement évité le port de Carthagène.

Tout ça nous a causé un bon mois de retard sur l’exportation. Par chance, on travaille avec des torréfacteurs compréhensifs, tous les cafés sont bien arrivés. N’empêche que n’importe quelle instabilité géopolitique peut avoir de grandes conséquences sur la production de café.

On ne se rend pas toujours compte à quel point il peut être compliqué de faire venir du café en Europe.

Y’a plein de torréfacteurs qui n’étaient pas au courant que c’était aussi compliqué de faire venir du café. Encore une fois, le café de spécialité est relativement jeune dans une industrie qui a l’habitude de cultiver et de bénéficier de la pauvreté des pays producteurs afin de maintenir des prix bas. Résultat, l’argent reste en Europe et les pays producteurs n’ont pas les ressources financières pour se développer, ils restent donc sans infrastructure adéquate.

Quand on va dans le Huila tu mets 12 heures pour faire 500 kilomètres, des fois t’es à 30 bornes et le GPS t’annonce 1h30 de route. Tout le transport se fait sur des nationales en piteux état, avec quasiment que de la route de montagne. C’est un véritable acte de foi que d’amener les cafés, qui voyagent parfois sur le toit de transports collectifs jusqu’à Bogota, pour arriver la nuit dans un entrepôt à moitié légal dans un quartier peu recommandable avant d’aller au centre de tri.

Tout ça, c’est du système D mais c’est comme ça que ça fonctionne ici parce que personne n’investit réellement dans les pays producteurs.

Même en ce qui concerne le paiement des producteurs… Quand tu connais la réalité des paiements, c’est raide. À tous ceux qui bossent avec des gens qui promettent de financer le café pendant 1 an ou 6 mois, je leur recommande vivement de demander si le producteur est payé pendant ce temps là ou si c’est encore sur lui que retombe de financer cette garde.

C’est un problème de trésorerie que l’on retrouve à toutes les étapes de la chaîne ?

Oui, quand tu as besoin de gros volumes, on a tous le même problème de trésorerie. Le torréfacteur qui veut le même café pour 6 mois afin de  garantir une offre consistante à ses clients, bien souvent il n’a ni la tréso ni la place disponible pour avancer et stocker 6 mois de café, ce qui est compréhensible.

Lorsque l’on sait que le taux d’emprunt annuel est de 20% en Colombie et qu’il est très dur d’avoir un crédit de la part d’une banque, je te laisse imaginer les conséquences sur le quotidien des caféiculteurs.

La solution offerte par certaines entreprises est de financer le café, ce qui me parait très bien, mais à condition que ce soit les mêmes entreprises qui en assume le coût final et non le producteur. Cela dit, il n’y a pas de jugement là dedans, chacun est libre de ses choix, à condition d’être bien informé, car la réalité est souvent bien plus dure.

C’est à ce moment que la transparence prend tout son sens, non ?

On est quand même dans un système économique qui joue beaucoup sur l’occultation du détail pour que tout fonctionne. Après, la question est de savoir ce que tu fais à ton échelle pour que les choses changent. Quand des clients nous demandent un rapport de transparence, on l’envoie avec le prix qu’on paye le torréfacteur, combien on paye le tri et combien on se paye aussi.

Tout ça nous semble juste être du bon sens, dans le même ordre d’idée on ne travaille qu’avec des gens que l’on apprécient humainement et surtout qui entendent ces concepts, c’est super important pour nous. C’est une liberté que t’offre le fait d’avoir ta propre boîte, on ne va pas courir après quelqu’un qui ne partage pas les mêmes valeurs de CATA EXPORT juste pour bouger plus de volumes ou avoir un compte client en plus, ce serait aux antipodes de notre mentalité. 

Parmi tous les producteurs avec lesquels vous travaillez, certains attendent plus de Cata Export ?

Je vais te parler à nouveau de Nestor Lasso, on l’a connu quand il avait 18 ans et commençait à reprendre la ferme de son père. Aujourd’hui il évolue, il a toujours sa première ferme et puis il a monté une coopérative, il s’est équipé, il a son appartement dans le village juste en bas de la montagne où il a ses fermes, il projette avec son associé Jhoan Vergara d’exporter en Corée et au Japon.

Ils nous ont demandé un coup de main logistique. Ils trouvent leurs propres clients et on s’occupe de l’envoi des échantillons, du transport parce qu’au final on a la capacité de le faire, alors pourquoi pas ? On pourrait aussi leur dire non parce qu’ils vont tout envoyer en Asie et du coup on serait sans café pour l’Europe mais on fonctionne aussi comme un tremplin. Si on peut fournir l’assistance technique à des producteurs pour qu’ils fassent du direct trade, et bien parfait !

Est-ce que tu vois la place de l’exportateur se redessiner ?

Oui et non, ce qui est vrai pour certains ne l’est pas pour d’ autres. Il y a des caféiculteurs qui ont déjà leurs clients et qui ont simplement besoin de quelqu’un de confiance pour faire le service logistique. De l’autre côté, il y a le producteur qui travaille déjà à temps plein sur sa ferme et ça ne l’intéresse pas de trouver des clients en Europe. Même cas de figure avec les torréfacteurs. Certains connaissent déjà les producteurs avec lesquels ils veulent travailler, et d’autres n’ont pas le temps de gérer leur sourcing à l’origine.

Il y a aussi la problématique de la responsabilité qui entre en jeu. Imaginons que tu es torréfacteur et que ce que tu reçois ne correspond pas du tout à ce que tu as demandé, qui répond ? Imaginons que tu es producteur et que le torréfacteur ne te paye pas, qui répond ?

C’est là notre force, on assume toutes les responsabilités et nous sommes là pour répondre et solutionner tous les problèmes inhérents au commerce sans affecter le prix d’achat aux producteurs ou le prix de vente aux torréfacteurs, le tout avec une communication transparente et facile. Au final tout le monde a des besoins différents et notre but est simplement de fournir des cafés et des solutions sur mesure à la fois aux torréfacteurs et aux caféiculteurs qui voient en nous cette valeur ajoutée.