Vue aérienne de la station de lavage Vunga (District de Nyabihu, Rwanda)
Vue aérienne de la station de lavage Vunga (District de Nyabihu, Rwanda)

Dans les plantations dévastées par la pluie au Rwanda

Depuis un pays qui ne produit pas de café, comme la France, il n’est pas facile d’avoir en tête la réalité d’une plantation. On ne s’imagine pas toujours comme le chemin qui mène le café jusqu’à nos tasses peut être compliqué. 

Eustache Mutakirwa est responsable de plusieurs stations de lavage au Rwanda, et notamment dans le district de Nyabihu, au nord du pays. En mai 2020, la région a été touchée par de très fortes pluies. En plus d’avoir causé la mort de plusieurs personnes, ces pluies ont ravagé les infrastructures qui mènent des plantations aux stations de lavage et mettent toute une région en difficulté.

Bonjour Eustache, pouvez-vous vous présenter ?

Je m’appelle Eustache Mutakirwa et je suis né dans l’ouest du Rwanda, dans le district de Nyamasheke. Je suis diplômé en Sciences et Technologies de l’Alimentation et je travaille pour Muraho depuis 2016. J’ai d’abord été en charge du contrôle qualité à la station de lavage de Nyamasheke, puis responsable de la station de lavage de Bumbogo en 2017. Et aujourd’hui, je suis en charge des opérations pour tout le pays, depuis 2018.

Pouvez-vous nous expliquer ce qu’il s’est passé au mois de mai dans le district de Nyabihu ?

Le district de Nyabihu, comme celui de Gakenke et Musanze au nord du Rwanda, a été frappé par une catastrophe naturelle. De très fortes chutes de pluie ont entraîné des inondations et des glissements de terrains, les 6 et 7 mai. Cela a causé la destruction de nombreuses maisons mais aussi des plantations de cafés de la région, avec leur récolte. Beaucoup d’infrastructures sont aussi endommagées, notamment les routes et les ponts. 

Les habitants du district ont-ils aussi été touchés ? 

Aujourd’hui, une grande partie de la population du district est logée dans les écoles. Beaucoup de personnes manquent de nourriture, n’ont pas assez de vêtements et manquent des choses essentielles pour la vie de tous les jours. Toutes leurs affaires ont été emportée par la pluie et la boue. Je dois aussi mentionner les 28 vies perdues suite à ces inondations, notamment celles d’agriculteurs qui font partie de notre famille et que nous ne reverrons plus.

À quel point le café est important pour la région ? 

Ici, le café est la source principale de revenu, il permet à 1200 fermiers de vivre grâce à environ 150 hectares de plantations, mais aussi de faire travailler toutes les personnes qui sont employées par ces fermiers.

À Shyira et Vunga, il y a 8 salariés permanents et 16 saisonniers, avec plus de 200 intérimaires chaque mois. Cela représente beaucoup d’emplois !

Maintenir la qualité de nos cafés demande un staff conséquent, que ce soit pour s’occuper des fermes, des stations de lavage, du séchage, du tri du café… Cela demande des gens courageux. Les agriculteurs de la région travaillent dur pour produire du café de grande qualité. Ils escaladent les montagnes avec du paillis sur le dos jusqu’aux plantations pour améliorer les récoltes, qu’ils transportent ensuite à pieds jusqu’aux stations de lavage. 

Celles-ci, notamment les stations de Shyira et Vunga dont vous êtes responsable, sont-elles toujours accessibles ?

Pour te donner des conséquences très concrètes, les inondations ont détruit le pont qui permet de faire sortir le café de la station de Shyira, et les glissements de terrains ont détruit les toilettes des employés. Dans la semaine qui a suivi ce désastre, les stations ont reçu beaucoup moins de cerises que d’habitude, parce que les agriculteurs ne peuvent plus rejoindre les stations, comme toutes les routes sont fermées. Et ici dans la région, les cerises sont transportées jusqu’aux stations de lavage soit à pieds, en portant les sacs sur la tête, soit à vélo. Les routes sont primordiales, car ces trajets peuvent prendre de 1 à 4h selon la localisation de la ferme.

Les plantations sont aussi endommagées, avec des conséquences sur la quantité de cerises que nous allons recevoir dans les stations. La région a perdu près de 4500 arbres dans la catastrophe, ça représente 10% de cerises en moins.

La station de lavage Vunga (District de Nyabihu, Rwanda) après les pluies dévastatrices de mai 2020
La station de lavage Vunga (District de Nyabihu, Rwanda) après les pluies dévastatrices de mai 2020

Depuis que vous travaillez dans l’industrie du café, une catastrophe comme celle-ci est-elle déjà arrivée ?

Toutes les années sont différentes, mais en général quand une année est bonne, la suivante ne l’est pas. Des pluies comme cette année, c’est la seconde fois que je vois ça. La première fois, c’était en 2018. Exactement la même chose, avec des inondations, des glissements de terrains… mais cette année, c’était vraiment plus violent. C’était bien pire, même les plus anciens m’ont dit que c’était la première fois qu’ils voyaient les montagnes glisser comme ils l’ont vu en mai.

Tout ça affecte évidemment l’industrie au Rwanda, parce qu’une année le volume de production est suffisant, et la suivante le volume est trop bas. Au Rwanda, le café est dans le top 3 des moyens de faire entrer des devises étrangères, et cela depuis de nombreuses années.

Alors si les récoltes sont mauvaises et que nous ne pouvons pas vendre assez de café, au final c’est toute la chaîne du café qui est menacée.

Quels sont les cafés produits dans la région de Nyabihu ?

Comme dans le reste du Rwanda, ce qui pousse ici est du Bourbon rouge. Les process chez Muraho pour ce café sont fully washed, nature et honey. On fait aussi quelques expérimentations sur des micro-lots à la station de Shyira, avec l’espoir de créer quelque chose d’excitant et de nouveau en tasse. 

Ces expérimentations sont faites sur les périodes de séchage, à savoir si le café sèche à l’ombre ou en plein soleil. Nous faisons également des tests sur la durée de la fermentation… Ce sont des choses excitantes à faire. Muraho est une compagnie qui cherche toujours à innover de manière positive, de faire en sorte que nos partenaires soient toujours surpris en goûtant un de nos cafés. 

Est-ce que cette façon d’envisager le café, malgré les risques que les changements climatiques font peser sur l’industrie, attire quand même les jeunes rwandais à travailler dans le café ? 

Au Rwanda, la majorité des employés et des agriculteurs sont des personnes plutôt âgées. Les plus jeunes ne sont pas intéressés par le café, parce que ça demande beaucoup d’efforts et tu peux attendre un moment avant d’en dégager un revenu suffisant. Pourtant, le café est ici un symbole de prospérité, si tu as du café ou que tu fais pousser du café, on te respecte.

Quoiqu’il en soit, ces difficultés à recruter de la main d’oeuvre plus jeune freine le développement du café ici, même si le gouvernement continue d’encourager la production et à motiver les plus jeunes en accordant quelques facilités. Les stations de lavage comme les nôtres ont par exemple une crèche, et nous fournissons aussi des outils pour qu’il soit facile de venir travailler avec nous. Mais cela ne suffit pas.

Qu’est-ce que l’on peut espérer pour la région et Muraho suite à cette catastrophe ?

On croit que l’effort collectif pourra nous aider, et nous sommes très contents du partenariat avec Raw Material. Avec eux, on a pu mettre en place la campagne GoFundMe, pour arriver à couvrir les besoins immédiats de la population et aider la région à se remettre de la catastrophe que nous venons de vivre. 

La phase une de la campagne est maintenant terminée, nous sommes aux anges ! Nous sommes en train de discuter avec les autorités locales pour distribuer de quoi subsister dans les 2 prochaines semaines.

La station de lavage Shyira (District de Nyabihu, Rwanda) après les pluies dévastatrices de mai 2020
La station de lavage Shyira (District de Nyabihu, Rwanda) après les pluies dévastatrices de mai 2020

En quoi consistent les phases suivantes de la campagne ?

On aimerait être capable de stabiliser les sols, avec l’argent qu’il reste. Une des valeurs de Muraho est de prendre soin de toutes les personnes qui contribuent de près ou de loin à la production de café. On espère donc voir toute la communauté de la région se remettre sur pied le plus vite possible.Ensuite, il faudra bien sûr trouver des solutions durables pour qu’à l’avenir, personne ne soit obligé de vivre dans les salles de classe des écoles de la région.J’en profite pour remercier, au nom de tous les rwandais et les gens de Nyabihu, toutes les personnes qui ont contribué à cette première phase. Cela nous touche beaucoup, et je constate à quel point les agriculteurs, les torréfacteurs et les passionnés de cafés sont une seule et même famille. 

Merci à Raw Material pour nous avoir mis en relation avec Eustache. Raw Material est une société de production, d’exportation et d’importation de café. Ils travaillent avec des producteurs en Colombie, au Rwanda, au Burundi et au Timor-Leste. 100% de tous les bénéfices reviennent aux producteurs de café du monde entier.