Florent en visite de la coop Permata Gayo à Sumatra en Indonésie, 2017
Florent en visite de la coop Permata Gayo à Sumatra en Indonésie, 2017

Le Direct Trade expliqué par Esperanza Café

Qu’est-ce que le direct trade ? Derrière la traduction simple de commerce direct se cache des notions plus subtiles qu’un chèque et une poignée de main en dehors de tout circuit : une relation de confiance entre un producteur et un torréfacteur, de la transparence, de la traçabilité, et de la transmission d’information.

C’est en tout cas ce que nous explique Florent, fondateur d’Esperanza Café, quand on lui pose la question. Avec un nom aussi équivoque et son logo à l’étoile rouge, on pourrait aussi le ranger trop vite parmi les franc-tireurs du café de spécialité. Derrière Esperanza se cache en réalité une histoire longue de 10 ans, entourée des 17 torréfacteurs européens de Roasters United, et avant tout l’envie de contribuer positivement au futur du café de spécialité dans les pays d’origine.

Florent, quelle a été la motivation pour monter Esperanza ?

En montant Esperanza Café, en 2012, je souhaitais créer du lien entre les producteurs et les amateurs de café.  J’avais également cette volonté de recréer le même concept que celui dans lequel je bossais au Canada, où j’étais acheteur de café vert : travailler avec quelques torréfacteurs européens pour faire du direct trade.

Esperanza n’est pas une boutique, mais un atelier de torréfaction. On distribue nos cafés dans des coffee-shops, des restos et des épiceries bios, surtout à Paris. Des gens viennent aussi acheter leur café en grain, à Saint-Denis ou sur le web, mais on ne sert pas de boissons à l’atelier.

On a donc démarré avec 4 autres torréfacteurs, en travaillant en direct avec 2 coopératives de producteurs. C’est comme ça qu’on a aussi mis en place Roasters United, une Société Coopérative d’Intérêts Collectif (SCIC) qui regroupe aujourd’hui 17 torréfacteurs en Europe. L’objectif c’est d’être une structure de sourcing détenue par les torréfacteurs.

Il y a aujourd’hui tout un élan pour les épiceries coopératives où les clients sont propriétaires de la boutique, et choisissent les produits qui sont en rayon. Là c’est pareil, c’est une structure qui source le café, détenue par ses clients ce qui permet aux torréfacteurs de s’engager beaucoup plus sur le travail à l’origine.

Quelle est ta définition du direct trade ?

C’est d’être en contact avec les gens qui produisent le café que tu achètes, de créer une relation de confiance, d’être dans l’échange pour comprendre leur travail et faire comprendre le nôtre . C’est pas juste régler la facture directement au producteur, il peut y avoir des intermédiaires à partir du moment où l’intermédiaire apporte de la valeur dans la chaîne. Parce que faire un achat direct  quand on est tout seul, c’est compliqué. Pour que la logistique soit efficace, le café s’achète en container complet. Cela veut dire acheter un container complet d’Ethiopie ou d’Indonésie. À nos débuts, cela serait revenu à avoir le même café 5 ou 6 ans en stock, ce qui est impossible pour la qualité.

Aujourd’hui, un torréfacteur peut facilement sauter dans un avion et aller en Colombie, nouer des liens avec un producteur. Mais ensuite, c’est compliqué de faire venir le café : il n’a pas forcément la connaissance de l’aspect logistique, ni de l’aspect financier. Tu as donc des torréfacteurs qui vont voir des importateurs, et leur demandent d’acheter tel café et de le faire venir pour eux. Dans ce cadre là, on peut parler de direct trade parce que le torréfacteur maîtrise la traçabilité et la transparence. Il utilise simplement un intervenant qui l’aide à faire venir le café et à le financer.

Quel est pour toi le plus important dans le direct trade ? 

Pour moi, ce qui importe dans le direct trade, c’est la traçabilité et la transparence. La traçabilité, ça concerne le produit : savoir d’où viennent les cerises qui constituent un lot. Sur un lot provenant de plusieurs parcelles, c’est important de savoir quelles parcelles ont constitué ce lot pour savoir quoi demander l’année d’après et être capable de reproduire les mêmes recettes.

Après, pour la transparence : si tu dis faire du direct trade, cette notion est très importante. Il faut savoir où va l’argent, et ce que reçoit le producteur pour évaluer, juger si la relation a un sens ou pas.

Parlons d’argent justement, comment négociez-vous vos prix ?

Il y a un indicateur international, c’est le cours du marché à New-York qui évolue en permanence, avec des différentiels par pays ou terroir. Par exemple, sur un café qui vient du Pérou, on va demander quel différentiel la coopérative est prête à négocier, au-dessus du prix du marché, pour nous fournir ce café selon la qualité requise. On va parler avec d’autres acheteurs pour s’assurer que l’on paie un prix juste, pour les deux côtés, parce que ça va dans les deux sens : tu peux avoir des liens tellement forts avec certains producteurs qu’ils ne vont pas oser augmenter le prix d’une année sur l’autre.

Ce différentiel dépend le plus souvent de la qualité du café, de l’offre et de la demande mais aussi de tout le travail de communication fait sur le pays. Par exemple, le différentiel de la Colombie a toujours été plus fort que celui du Pérou, parce que le gouvernement colombien a tout fait pour déposer le pays comme une “marque café” internationale.

Ce qui est négocié plus spécifiquement chez Esperanza, c’est un prix garanti qui va permette aux producteurs de s’engager sur le long terme et de moins subir les baisses du cours du marché . Pendant les 5 dernières années, on ne s’est pas du tout soucié du marché très bas à New-York ni des différentiels. Mais les coopératives y reviennent, parce que le marché remonte. Et là, le risque du prix fixe quand le marché remonte pour le producteur, c’est de vendre finalement son café moins cher. 

Qu’est-ce qui t’importe le plus, toi, en tant que torréfacteur dans cette relation ?

Le facteur humain est hyper important. Je suis rentré dans le café en allant à la rencontre de producteurs,  et le concept d’exploitation ne me convient pas. C’est sûr que du point de vue économique, je ferais mieux de ne pas me soucier de ce que reçoit le producteur. Mais j’aime le produit, le café. Et si on veut continuer à apprécier un produit de qualité, c’est de notre responsabilité de faire en sorte qu’à l’origine les gens s’animent aussi pour ce produit. Si demain les enfants de producteurs voient leurs parents comme des gens exploités, ils n’auront pas envie d’entrer là-dedans, ils n’auront pas envie d’innover. 

Quel genre de relation entretiens-tu avec les producteurs de café avec lesquels Esperanza travaille ?

On essaie de rendre les producteurs plus entrepreneurs, pour que les générations futures puissent prendre le relai avec espoir, et pas par défaut. Je me suis rendu compte que les petits producteurs étaient marginalisés sur le marché. S’ils sont isolés, ils n’ont aucun pouvoir de négociation.

Ce qui augmente leur pouvoir de négociation, c’est de se mettre ensemble, et l’éducation. Je ne parle pas d’aller leur expliquer la vie, mais de transmission d’informations. En créant du lien, la transmission dans les deux sens est très importante, pour mieux comprendre le produit et le marché. C’est important de pouvoir leur expliquer pourquoi un espresso coûte 2€ dans un coffee-shop, et d’expliquer les coûts de chaque opérateur sur la chaîne. Et pour nous c’est important de comprendre leur travail, les investissements requis afin de produire un café de qualité. 

D’ailleurs, comment se passe une rencontre type avec un producteur ?

Mes premières rencontres, je les ai faites en bossant dans une coopérative de torréfacteurs à Montréal qui avait décidé de prendre un premier employé pour gérer les achats. Je suis rentré en contact avec des producteurs comme ça, en me déplaçant dans les fermes avec lesquelles cette boîte bossait déjà. Mais je ne suis jamais parti dans un pays producteur avec mon baluchon pour rencontrer des producteurs au hasard.

Aujourd’hui, je peux me retrouver à une table de cupping et découvrir un café d’une origine toute nouvelle, comme cela s’est passé avec le Congo il y a quelques années. Tu commences alors à te renseigner, à appeler des confrères, à regarder ce qui se fait à l’origine pour rencontrer des producteurs. Un critère très important chez nous, c’est qu’on ne bosse qu’avec des coopératives.

Une fois un terroir ciblé et les contacts faits en amont, je me déplace en général une semaine dans la coopérative pendant la saison de récolte afin de comprendre les processus et d’évaluer de plus près leur approche vis-à-vis de la traçabilité et de la transparence. Dans la mesure où nous travaillons avec des organisations de plusieurs dizaines de producteurs, il est très important de nous assurer que les protocoles sont homogènes d’une parcelle à l’autre au sein d’une même organisation, et que la coopérative suit une logique dans la constitution des lots.

Sur place nous échangeons avec les dirigeants, mais aussi avec les producteurs membres, le staff chargé de l’assistance technique aux producteurs, et avec l’équipe de dégustation de la coop. La décision d’achat n’intervient qu’après, souvent 12 à 24 mois après cette visite initiale.

Pourquoi tu choisis une origine plutôt qu’une autre pour ton catalogue ?

Au départ sur Esperanza, il y avait la volonté d’avoir un équilibre au niveau des profils sensoriels, avec l’idée d’avoir trois continents réunis : un café charnu d’Indonésie, deux cafés fruités et floraux d’Ethiopie, et un café chocolaté d’Amérique du Sud, de Colombie ou du Honduras selon la saison pour avoir du café frais. Pourquoi ces origines, et bien… par affinités personnelles, par rapport aux contacts que j’avais. 

Petit à petit, on a intégré de nouvelles origines avec l’envie d’une offre équilibrée. Par contre, on doit tenir compte du marché, car on n’est pas sur un segment d’experts. On a très peu de cafés d’Afrique parce qu’en France, le marché reste plutôt friand de cafés avec beaucoup de corps, des cafés puissants. Alors qu’on sait que les cafés d’Afrique de l’Est sont très délicats, plus appropriés pour les méthodes douces et cela reste un marché assez limité sur la France.

Après, si le produit est top et que le projet nous intéresse, on ne s’interdit rien. Le meilleur exemple là, pour nous, c’est le Congo, on n’avait aucune raison de mettre ce café dans notre gamme. Il est très proche d’un lavé d’Ethiopie, mais on a décidé de le faire parce que l’origine était intéressante, assez rare à l’époque, et le travail des coopératives sur ce terroir nous intéressait.

Là-dedans, qu’est-ce qui pourrait freiner le producteur à travailler en direct avec toi, le volume ? 

On essaie toujours de faire au minimum un demi container. C’est pas top, mais on participe au surcoût que cela génère. Sachant qu’on arrive aussi à 17 torréfacteurs, c’est aussi acceptable de démarrer avec ce faible volume dans un premier temps, pour démarrer une relation. Si j’y allais seul, en demandant 20 sacs, le coût serait extrêmement élevé et le processus complexe. Si j’avais un coffee-shop bien situé et si je pouvais vendre mon sachet de 250gr à 15 ou 20€ le paquet, pas de soucis. Mais ce n’est pas vraiment notre marché.

Quand je veux absolument une faible quantité du café d’un producteur, je vais regarder avec qui il travaille déjà en Europe, et voir si je peux ajouter mes 10 sacs en bout de container. Mais encore une fois, nous on essaie de démocratiser le café de spécialité, on ne travaille pas avec des cafés de 90+, on travaille avec des cafés entre 84 et 88, que l’on vend en b2c à 6,95€ les 250 grammes. 

Sur votre marché, les labels bios ou fair-trade sont-ils importants ?

Le bio est très important. Je ne suis pas agronome et je n’ai pas la capacité de me rendre compte sur le terrain si le café est réellement bio. Un auditeur externe me rassure vachement. C’est important pour moi que la culture du bio soit développée, pour imaginer travailler avec une ferme sur le long terme.

Sur le côté équitable, on a des prix garantis chez Roasters United nettement au-dessus des prix imposés par les labels du commerce équitable. Pour être en magasin bio, tu as souvent besoin de la double certification, bio et commerce équitable. Nous, on a choisi le label équitable WFTO, parce que c’est un label qui reconnaît les différents labels existants, et il te permet aussi de faire de l’auto-certification dans le cas oú tu travailles avec une coopérative qui n’a pas les ressources pour se faire auditer

Tu verras cependant sur nos paquets qu’aucun de ces labels n’est présent sur l’étiquette de face, on les met au dos pour que les gens n’achètent pas nos cafés parce qu’ils sont labellisés, mais pour notre démarche.

Dans cette démarche, que représentent les coûts de voyage pour sourcer les cafés ?

Si je parle pour nous uniquement, on sort 60 tonnes de café torréfié par an. Si on parle du coût global pour la gestion du sourcing incluant les déplacements à l’origine, il est pour nous d’environ 55 000 euros, on est donc à 1€ par kilo de café sur un coût opérationnel de 7€ le kilo. Quand je parle de coût opérationnel, je mets les salaires, loyers etc. Sans faire du direct trade, sans se déplacer, ce coût opérationnel serait plutôt autour de 6€.

Après, au-delà de l’aspect financier, c’est une expérience de vie, à chaque fois que je voyage, j’apprends. Quand j’insistais tout à l’heure sur l’aspect transmission, il y a une véritable satisfaction à ne pas être dans une relation purement commerciale. L’idée de faire évoluer l’industrie du café de spécialité c’est de faire en sorte que même quand nous, Esperanza, on arrêtera, le travail sera récupéré par d’autres.

Attention, j’essaie aussi de ne pas idéaliser cette démarche, ni même le café de spécialité d’ailleurs, mais surtout d’être honnête avec nos partenaires. Ce n’est pas parce que la consommation de paquet de café à 15€ les 250 grammes se développe que tout est réglé. Tirer les prix vers le haut, c’est bien, à partir du moment où les revenus sont redistribués correctement tout au long de la chaîne.