Dhamar Processing Centre, Yemen - Crédits images : Qima Coffee
Dhamar Processing Centre, Yemen – Crédits images : Qima Coffee

Christophe Montagnon et la découverte du café Yemenia

Ancien Directeur Scientifique du World Coffee Research, Christophe Montagnon est dans la recherche sur le café depuis 30 ans. Au sein du WCR, qu’il a contribué à créer, au CIRAD ou avec sa société RD2 Vision, son travail est une aide précieuse pour tous les acteurs de la production de café, et surtout les planteurs.

Quand Faris Sheibani de QIMA Coffee, dont le projet est d’améliorer la vie des caféiculteurs yéménites, l’appelle pour étudier la diversité génétique des caféiers du Yémen, il n’hésite pas une seconde.

Il faut dire que le Yémen occupe une place particulière dans l’histoire de coffea arabica. Né en Éthiopie, l’arabica doit son nom et son expansion à son passage par “l’Arabie Heureuse”, comme on appelait le Yémen.

Et, bien que certains cafés du Yémen figurent parmi les cafés les plus chers vendus dans le Monde, ses producteurs souffrent des crises humanitaires qui traversent le pays depuis des décennies. Une situation qui pourrait s’améliorer grâce à la découverte de Christophe Montagnon du café Yemenia.

Dans quel contexte avez-vous été amené à travailler sur la variété Yemenia ?

En réalité, comme nous le verrons, Yemenia n’est pas une variété, mais un groupe génétique. On peut dire aussi une population mère. J’ai donc travaillé sur ce groupe génétique pour un de mes clients qui s’appelle Qima Coffee, dont le directeur Faris Sheibani est d’origine yéménite. Il a commencé son activité de négoce sur le café du Yémen avec beaucoup d’intérêt pour les connaissances scientifiques dans le monde du café, et particulièrement au Yémen.

Il m’a contacté pour en savoir un peu plus sur les variétés cultivées au Yémen. C’est là que l’on a commencé à analyser la génétique des cafés cultivés là-bas. On ne sait pas grand-chose du paysage génétique de ces cafés, même si c’est un pays fondamental pour le café Arabica.

Christophe Montagnon a découvert le café Yéménia
Christophe Montagnon, fondateur de RD2 Vision, a découvert le café Yemenia

Pour quelle raison le Yémen est-il un pays fondamental pour le développement du café Arabica ?

Le café arabica est principalement originaire des forêts d’Éthiopie. On a montré récemment que le Soudan du Sud était aussi un habitat naturel du café, mais globalement, l’arabica vient d’Éthiopie.

Ce café s’appelle Arabica, et non Ethiopica, parce qu’il a été décrit pour la première fois par les botanistes du 18ᵉ siècle au Yémen, qui s’appelait à l’époque l’Arabie Heureuse. C’est bien plus tard, au 20ᵉ siècle, que l’on a compris que le café venait en réalité d’Ethiopie.

Des graines sont arrivées au Yémen autour du 15ᵉ siècle, et y sont restées jusqu’au début du 18ᵉ. Le café commençait à être bu en Europe et les puissances coloniales se sont dit qu’il serait quand même intéressant de cultiver le café ailleurs qu’au Yémen.

Au-delà des légendes, il faut retenir que seules quelques graines sont sorties du Yémen par un contrebandier dénommé Baba Budan puis par des français. Ces graines sont allées dans l’actuelle Indonésie via l’Inde et par ailleurs sur l’île de la Réunion qui s’appelait à l’époque l’île de Bourbon. Elles ont donné les variétés Typica et Bourbon.

Et, jusqu’au 20ᵉ siècle, seules ces 2 variétés ont été cultivées dans le Monde, notamment via la Martinique pour arriver en Amérique Centrale et au Brésil. 

Lorsque l’on étudie les variétés de cafés, on se demande s’il n’y avait au Yémen que le Typica et le Bourbon, ou plus de choses ? Moi qui suis généticien, quand un jeune entrepreneur me contacte pour en savoir plus sur le café du Yémen, j’ai forcément très envie d’en étudier la diversité génétique !

À quoi ressemble le paysage génétique du Yémen ?

Jusqu’à notre article sur Yemenia, on n’en savait rien ! Les études génétiques confirmaient simplement que le café arabica était bien passé par le Yémen. Mais, on ne savait pas quelle était la variabilité génétique à l’intérieur du Yémen.

On ne savait pas s’il y avait au Yémen autant de diversité qu’en Éthiopie, qui est un véritable réservoir de gènes pour le café arabica.

On s’est rendu compte que toutes les variétés cultivées dans le Monde hors Éthiopie se trouvent encore au Yémen. L’autre chose, c’est qu’effectivement un groupe génétique est parti d’Éthiopie pour arriver au Yémen, sans en être jamais sorti. Et, ce groupe génétique, c’est Yemenia.

Les montagnes d'Haraaz et leurs caféiers
Les montagnes d’Haraaz et leurs caféiers – Crédits images : Qima Coffee

Comment on s’y prend pour faire une telle découverte ?

Il est très difficile de repérer la génétique d’un caféier à l’œil nu, c’est quasiment impossible. Qima Coffee a fait une prospection. C’est-à-dire qu’ils ont rassemblé des graines venant de différentes régions du Yémen. Cela a constitué une population de base que l’on a analysée génétiquement. 

On a d’une part comparé la génétique de ces caféiers entre eux, ainsi qu’avec tous les caféiers cultivés dans le Monde et en Éthiopie. On s’est rendu compte qu’une population génétique était différente de tout ce que l’on peut trouver dans le Monde, mais également en Éthiopie dans l’état actuel des connaissances.

Cette population, baptisée Yemenia, a été repérée au Yémen et même si l’on est sûr qu’elle vient d’Éthiopie où est né le café, on ne l’a pas encore trouvé en Éthiopie.

Soit elle a disparu du pays, ce qui ne serait pas impossible avec la déforestation, soit on ne l’a tout simplement pas encore trouvée. Un jour ou l’autre, je pense qu’on trouvera probablement une population éthiopienne au départ de Yemenia.

Concrètement, alors, qu’est-ce que Yemenia ?

C’est un groupe de caféiers cultivés par les producteurs yéménites, une population mère différente des autres. Cela veut juste dire que les producteurs du Yémen ont domestiqué, utilisé cette plante pour ses qualités intrinsèques.

Surtout, elle a été conservée au Yémen. Et, si elle a été conservée au Yémen, c’est qu’elle a des avantages pour les planteurs.

Pourquoi ce n’est pas parti dans le Monde ? Parce que les caféiers partis du Yémen ont été pris dans des poches, par des contrebandiers. Et, le hasard a fait que la population Yemenia ne faisait pas partie des graines qui sont parties conquérir le monde.

Quelles sont les particularités du groupe génétique Yemenia, en comparaison aux Typica et Bourbon ?

Je vais vous donner une réponse peu satisfaisante : on n’en sait rien. Il y a encore 2 ans, on ne savait pas que cette Yemenia existait. Personne ne s’était amusé à regarder la génétique et encore moins les caractéristiques comme la productivité, la résistance aux maladies… Il n’y avait aucune connaissance.

Maintenant, simplement par la génétique, on vient de s’apercevoir qu’il y a en réalité différentes populations génétiques. Tout ça, je le rappelle, ce n’est pas marqué sur la tête des caféiers. Ce sont des choses que l’on ne voit pas. Les études doivent continuer pour comparer les caractéristiques agronomiques de Yemenia à celles des Typica et Bourbons.

Cerises de café Yéménia
Cerises de café Yemenia – Crédits images : Qima Coffee

Par contre, la qualité à la tasse du Yemenia semble déjà bien comprise.

Ça, c’est beaucoup plus facile à voir. Qima Coffee peut organiser des dégustations de cafés du Yémen et regarder par la génétique de quelles populations ces cafés sont issus pour dire s’il s’agit de Yemenia, de Typica ou de Bourbon.

Chaque année, Qima co-organise la Cup of Excellence au Yémen. Le top 20 des meilleurs cafés du pays sortent de cette compétition et sont ensuite mis aux enchères. Parmi ces cafés, on s’aperçoit que les meilleurs cafés sont souvent des Yemenia.

Le Yemenia est-il vraiment le nouveau Gesha ?

Alors attention, je reste sur la partie scientifique et ces déclarations sont plutôt commerciales. Effectivement, c’est une façon de promouvoir le café du Yémen que de promouvoir les cafés Yemenia comme un nouveau Gesha.

La variété Gesha est sortie de nulle part aux débuts des années 2000, et ce café a changé la donne dans le monde du café de spécialité. De cette perspective-là, Yemenia est aussi quelque chose de nouveau.

Que représente le Yemenia pour les producteurs yéménites ?

C’est eux qui ont conservé et maintenu cette population. Nous avons mis en évidence cette population, mais nous n’avons rien créé. Le mérite de pouvoir étudier Yemenia aujourd’hui revient aux générations de caféiculteurs yéménites. 

Ce n’est pas seulement de la sympathie pour les cultivateurs. Il est aussi important de le dire face aux traités internationaux, comme l’accord de Nagoya, qui reconnaissent aujourd’hui le droit pour les agriculteurs qui ont conservé des ressources génétiques de bénéficier de ces découvertes.

On doit donc aux caféiculteurs yéménites la conservation de cette population Yemenia. 

Sanaa Processing Centre, Yemen
Sanaa Processing Centre, Yemen – Crédits images : Qima Coffee

Comment cette reconnaissance peut-elle se concrétiser pour les producteurs ?

Aujourd’hui, pour travailler avec les Nations Unies et les représentants et voir comment, dans les faits, mettre en œuvre cette reconnaissance, je vous assure que ce n’est pas facile en ce moment au Yémen. Mais, je tiens énormément à ce principe.

Néanmoins, une fois que l’on a augmenté la connaissance, on augmente les différentes options pour les agriculteurs. Plutôt que de prendre telle variété au hasard, un producteur pourra demander des caféiers du groupe génétique Yemenia et créer de la diversité et du choix dans les plantations.

S’il se confirme que le Yemenia a une qualité supérieure à la moyenne, ils vont pouvoir le valoriser sans le mélanger à d’autres variétés.

Est-ce qu’il pourrait y avoir un effet terroir qui fait que le Yemenia se développe mieux au Yémen ?

C’est une chose à étudier. C’est ce que l’on appelle l’interaction génotype-environnement, qui dit que ce n’est pas parce que Yemenia se plaît bien au Yémen qu’il fonctionnera ailleurs.

Ce sont des essais qu’il faudra réaliser, mais en regard de ce que je viens de vous dire sur le mérite qui revient aux caféiculteurs yéménites. Ces essais devront être faits dans un cadre qui reconnaît l’effort des populations yéménites dans la conservation de Yemenia.

La question centrale, c’est qu’entre les forêts éthiopiennes et le Yémen, c’est le jour et la nuit. Au Yémen, il fait chaud le jour, il fait froid la nuit, et il ne pleut pas. Pour un caféier, la domestication de l’Éthiopie au Yémen a été un choc pour le café, qui a été mis dans des conditions extrêmes. 

On peut donc penser que ces caféiers sont adaptés à des conditions climatiques sévères. De ces survivants, on a exploité tout ce qui est Typica et Bourbon, et ça a bien marché puisque l’on en parle depuis 300 ans. 

Là, d’un seul coup, on dit qu’il y a une autre population, qui a aussi survécu et s’est aussi développée dans des conditions climatiques extrêmes. Et, que peut-être, dans le cadre du changement climatique et du besoin de cultiver du café dans des conditions plus extrêmes, le Yemenia est une opportunité très intéressante.

Et, pour vous, comme chercheur, qu’est-ce que représente cette découverte ?

C’est tout ce que l’on souhaite quand on est chercheur ! L’adrénaline de découvrir, et pas de créer, mais bien découvrir des connaissances génétiques inconnues auparavant. C’est une excitation de scientifique ! Pour moi, ça marquera ma carrière.

Aussi, c’est le plaisir de publier, de voir ce que Yemenia deviendra. Il y a un vrai potentiel, qui donne envie de continuer à creuser. Ce sera passionnant de découvrir le lien entre Yemenia et le café d’Éthiopie, et d’observer ce que Yemenia apportera pour le futur du café de spécialité.