Benoît Bertrand au Salvador pour le World Coffee Research, en compagnie de Ed Price (Prof. Texas University) et Doug Wels (Peet's Coffee Vice President)
Benoît Bertrand au Salvador pour le World Coffee Research, en compagnie de Ed Price (Prof. Texas University) et Doug Wels (Peet’s Coffee Vice President)

Pourquoi développer de nouvelles variétés de café ?

Benoît Bertrand étudie les caféiers depuis plus de 20 ans, notamment pour le CIRAD, l’organisme français de recherche agronomique et de coopération internationale pour le développement durable des régions tropicales et méditérranéennes, à Montpellier.

Pour faire face aux maladies comme la rouille du caféier et s’adapter aux changements climatiques, il développe de nouvelles variétés, comme la Marsellesa. Nous avons eu la chance de nous entretenir avec lui pour parler de ses recherches et de l’intérêt de développer de nouvelles variétés pour le futur du café.

Est-ce que dans 20 ans, les caféiers existeront toujours ? 

Les caféiers ne sont pas menacés en tant que tels, ce sont les ressources génétiques, c’est à dire les arbres sauvages, que l’on ne trouve que dans les forêts en Afrique, qui sont menacées. Ces ressources sont menacées d’extinction parce que l’Homme déforeste, et parce que la pression démographique et les activités humaines en général font que là où il existe ces caféiers sauvages, on constate que ces espèces disparaissent.

Vous pensez aux espèces que l’on consomme chaque jour ?

Il existe plus de 100 espèces de caféiers et quand je parle des espèces de caféiers, je parle de toutes les espèces de caféiers, qui sont de véritables réservoirs de gènes. C’est à dire des plantes sauvages dans lesquelles on peut aller chercher des gènes qui nous intéressent, nous chercheurs, et qui sont celles menacées de disparaître.

Aujourd’hui, seules 2 espèces, que l’on trouve donc aussi à l’état sauvage, sont cultivées pour la consommation : le robusta et l’arabica. A l’état sauvage, le robusta se trouve en Côte d’Ivoire, en Guinée, au Congo… Il reste très peu de ces arbres. Et pour l’arabica, on ne le trouve qu’à un seul endroit du Monde, le sud ouest de l’Ethiopie.

Je parle donc de toutes les espèces de caféiers car pour réaliser des variétés de café plus résistantes, on va chercher de la résistance chez toutes les espèces sauvages. 

Les recherches sur les nouvelles variétés de cafés sont-elles nombreuses ?

Non, c’est une toute petite communauté scientifique. C’est important de le dire d’ailleurs, il y a peu de scientifiques qui travaillent dans ce domaine. L’industrie du café génère plusieurs centaines de milliards de dollars de chiffre d’affaires par an mais l’argent consacré à la recherche, pas la recherche sur le packaging ou la manière de torréfier le café, mais la recherche sur la manière de cultiver du café, en agronomie, cet argent est beaucoup trop faible, comparé à ce qui peut être mis sur la table pour le maïs, par exemple.

Pourquoi à votre avis ? 

Parce que le maïs est cultivé partout dans le monde, alors que le café est principalement cultivé dans les pays en voie de développement. Et aussi parce que l’ensemble des industriels a longtemps considéré le café comme une matière première, comme du pétrole ou du charbon, une ressource qu’ils pensaient “illimitée”. Et quand vous considérez une plante comme une matière première, vous ne vous occupez pas trop de savoir si elle est en bonne santé. 

Qu’en est-il de l’industrie du café de spécialité dans tout ça ? 

En général, les petits torréfacteurs ont une méconnaissance de l’agronomie. Non pas des origines, ils ont vu des choses, sont allés dans les pays producteurs, ont accumulé tout un savoir autour du café. Mais sans la perspective de ce qui se passe réellement dans la nature. 

C’est quoi un café de spécialité pour vous ?

C’est quelque chose qui existe depuis très longtemps mais sans organisation. Un marché spécifique, né sur la côte ouest américaine, quand certains torréfacteurs se sont rendus compte que l’on pouvait trouver du café d’exception en voyageant à l’origine. 

Cette exception du café, elle est d’abord sensorielle. Ce sont des cafés qui proviennent d’une ferme dont l’environnement est propice à faire du bon café, ou le procédé post-récolte lui donne une certaine originalité, ou encore des cafés qui possèdent un génotype particulier avec de nombreuses qualités que l’on retrouve en tasse. Souvent, ces 3 facteurs sont réunis et font que vous buvez un très bon café, avec une expérience sensorielle qui sort de l’ordinaire. C’est aussi pour cela que les cafés de spécialité se distinguent par leur prix, étant plus rares. 

Pouvez-vous préciser les facteurs environnementaux qui font des cafés d’exception ?

Le premier facteur, c’est l’altitude. Dans les climats tropicaux où poussent les caféiers, plus on monte, plus la température baisse. Il se trouve que quand la température baisse, les cafés vont mûrir et se développer plus lentement. On observe alors, en général, un café de meilleure qualité. 

Le second facteur, c’est l’éclairement. Originellement, le café est une petite plante de sous-bois, qui supporte assez bien l’ombrage, beaucoup moins la chaleur en plein soleil. Sous ombrage, les caféiers sont en meilleure santé et cela donne des cafés avec plus de goût. 

Mais tout cela est une balance subtile, plus on monte, plus il fait froid, et alors l’ombrage peut devenir négatif. Par exemple, si vous êtes au niveau de l’équateur, en Colombie ou au Kenya, un café bien noté par la Specialty Coffee Association sera cultivé sous ombrage à partir de 1000, 1200 mètres. A partir de 1800 mètres, l’ombrage sera négatif car il fera alors trop froid pour lui.

Pour revenir à vos recherches sur les nouvelles variétés de café, c’est aux différences de température dues au réchauffement climatique que vous souhaitez les rendre plus résistantes ?

Elle doivent d’abord être résistantes aux maladies comme la rouille du caféier, et après aux changements de températures et à la sécheresse. Il faut se préparer aux changements climatiques à venir, et donc commencer à préparer les variétés de demain. 

Face aux changements climatiques, il n’y a que 2 choix pour l’industrie du café. Soit la production va devoir changer de zone, et aller plus au nord ou plus en altitude, où les températures permettent de produire correctement. Mais c’est compliqué et très coûteux. L’autre solution consiste à faire évoluer les systèmes de production et planter des variétés mieux adaptées aux températures plus élevées.

Créer de nouvelles variétés de café, est-ce que cela s’est déjà vu ?

Pas tant que ça, beaucoup moins que pour d’autres plantes. Ce qui se passe avec les producteurs, ou même les torréfacteurs, comme cela peut être le cas avec certains viticulteurs, c’est qu’il s’agit en général d’une population assez conservatrice, avec une résistance énorme aux changements. C’est d’ailleurs l’une des grandes difficultés pour financer ces recherches en agronomie, les gens préfèrent fermer les yeux et dire que l’on verra bien ce qui va se passer.

Cependant, les torréfacteurs sont tout de même là pour noter la qualité des tasses des nouvelles variétés que vous inventez.

Complètement ! On fait toujours valider nos variétés par des torréfacteurs, mais en général ce sont de grands torréfacteurs, dans le sens économique, car ce sont eux qui ont les moyens de financer ces études. Moi, je sais faire de nouvelles variétés, mais ce n’est pas à moi de dire ce qui convient à l’industrie, je ne sais pas si un café que je trouve bon le sera aussi pour les consommateurs.

L’industrie du café de spécialité, qui met en avant des origines, des variétés et des process, est-elle présente dans ce débat ?

Il existe un programme qui rassemble les financements de plusieurs torréfacteurs américains et européens, le World Coffee Research. Ce programme est né il y a 5 ans, j’y contribue (cf. le programme Breeding For The Future, ndlr.) mais c’est encore assez peu efficace. Comme les ressources sont limitées, lorsque l’on travaille sur ce sujet, en réalité on travaille pour tout le monde, pas pour un secteur particulier de l’industrie. 

À ce stade, il est important de le redire, ce ne sont pas nous, les chercheurs, qui allons modifier le marché, décider quoi et comment produire pour les consommateurs. C’est le marché, et donc l’industrie, qui décide de quel type de variété il a besoin. C’est parce qu’il y a des besoins qu’il y a des recherches. 

Au-delà de la distinction café de spécialité et café ordinaire, la difficulté dans le café est qu’il s’agit d’une filière agricole qui manque de structuration avec une industrie des semences. En gros, dans le café, on ne sait pas trop ce qui est planté.

Pourtant, quand on achète un café de spécialité, la variété est toujours précisée.

Bien sûr, ça dépend et j’exagère volontairement. Il y a quelques pays très bien structurés à ce niveau, comme le Brésil, la Colombie. Après, d’autres sont bien organisés comme le Costa Rica ou l’Honduras. Et après, et bien… c’est souvent le bordel. Bien souvent les gens répètent ce qu’on leur a dit, en font des légendes comme “le Bourbon, c’est toujours super”. Mais sans savoir si c’est réellement du Bourbon. Lorsque l’on vérifie avec des marqueurs génétiques, c’est souvent assez faux.

Est-ce qu’avec les nouvelles variétés que vous travaillez, il est aussi question d’apporter plus de connaissances aux producteurs ?

Nous, on augmente la connaissance, mais dans le cercle qui est le nôtre et qui est celui de la science. On publie les résultats de nos recherches dans des journaux scientifiques qui sont lus par quelques dizaines de personnes et qui ont les compétences pour comprendre ce que l’on y dit. 

Quand on peut, on fait relayer ces publications dans les médias, et cela peut atteindre les producteurs, les torréfacteurs. Ils nous demandent parfois d’intervenir, de faire des petites conférences. Ce que l’on fait. Mais l’essentiel de notre métier n’est pas de communiquer ou d’informer les producteurs.

Dans un secteur bien organisé, toutes ces pièces du puzzle devraient tenir ensemble, et ce qui est produit pas un chercheur transmis au producteur. J’en reviens au manque de structuration que j’évoquais tout à l’heure.

Aujourd’hui, les résultats de vos recherches sont-ils satisfaisants ? 

À notre actif, nous avons la variété ‘Marsellesa’, (la Marseillaise en français) qui est une variété classique, mais avec un profil sensoriel intéressant. Elle est plus acide que la plupart des autres variétés. 

Depuis plus de 20 ans, nous avons déjà réussi aussi plusieurs hybrides F1 dont la variété ‘Starmaya’ ou la variété ‘Centroamerica’. Les hybrides F1, ce sont les hybrides de première génération. Il s’agit de prendre 2 groupes génétiques éloignés, par exemple une variété sauvage d’Ethiopie que vous croisez avec une variété sélectionnée au Brésil. En les mettant ensemble, on obtient un hybride beaucoup plus productif que ses deux parents, c’est ce que l’on appelle un “effet de vigueur”.

Cet effet est encore assez mystérieux aujourd’hui, c’est un effet dont on ne sait pas bien pourquoi, même si on sait comment et ce depuis les années 50. En terme de quantité de café produit, les hybrides sont donc supérieurs aux caféiers actuels. Lorsqu’on compare nos hybrides avec les variétés actuelles, on peut récolter entre 40 à 60% de café en plus. Ces hybrides F1 sont les meilleurs candidats à l’heure actuelle pour rénover un verger et lutter contre les effets du changement climatique.

Et au niveau de la qualité des fruits et de la tasse ?

En terme de qualité, ce sont des intermédiaires entre les deux parents, à mi-chemin entre les variétés cultivées et les variétés sauvages. Il faut savoir que les variétés sauvages sont très souvent bien meilleures en tasse. Les hybrides réalisent donc un progrès pour la productivité mais bien sûr, si vous comparez avec le café d’arbres sauvages éthiopiens, ils sont moins bons.

Notre hypothèse sur la qualité de ces hybrides F1 est que nous avons utilisé le café Ethiopien comme parent mâle, quand nous aurions dû l’utiliser comme parent femelle pour profiter de l’hérédité maternelle, sans doute important chez le caféier Arabica, et obtenir de meilleurs résultats.

Pouvez-vous préciser par rapport à quoi vous évaluez la qualité de ces hybrides ? 

Aux cafés issus des caféiers sauvages d’Ethiopie, auxquels seuls les chercheurs ont accès. Il y a finalement très peu de gens qui ont accès aux vrais caféiers sauvages ou aux ‘semi-sauvages’ sur lesquels on récolte du café en Ethiopie. Une grande partie du café cultivé en Ethiopie provient de plantations industrielles qui utilisent des variétés américaines. 

Hors de l’Ethiopie, pour comparer, vous pouvez faire une expérience unique avec la variété ‘Geisha’ qui est cultivée au Panama et de plus en plus souvent en Amérique Centrale et Andine. Mais attention il faut encore que cette variété soit cultivée suivant les règles de l’art : en altitude et avec un bon accompagnement agronomique (taille, fertilisation et pratiques pots-récolte impeccables) pour préserver son goût remarquable. 

Comment faire, alors, pour que ces hybrides viennent égaler les cafés sauvages ? 

Cela demande des recherches complémentaires. On commence seulement à travailler sur cette question, mais avec de très petits fonds comme je le disais tout à l’heure. Récemment nous avons créé des hybrides F1 entre Geisha et la variété Marsellesa et nous en attendons beaucoup…  car cette fois Geisha est la ‘maman’ !

Le programme du CIRAD auquel participe Benoît Bertrand est financé par Breedcafs. Le projet Breedcafs a reçu des fonds du programme de recherche et d’innovation de l’Union Européenne Horizon 2020, sous l’accord 727934.