Aurélien He, torréfacteur chez Mana à Aix-en-Provence
Aurélien He, torréfacteur chez Mana à Aix-en-Provence

La torréfaction de café chez Mana, comment ça se passe ?

Si certains peuvent avoir une vocation pour la torréfaction, Aurélien He est entré dans ce monde totalement par hasard, à force de temps et d’expériences dans le café de spécialité. D’abord barista, il découvre la torréfaction jusqu’à monter sa propre boîte. Mais depuis quelques mois, c’est chez Mana, à Aix-en-Provence, qu’Aurélien pratique la torréfaction.

Plongez avec lui dans le métier de torréfacteur et découvrez sa vision d’une bonne torréfaction !

Salut Aurélien, comment es-tu arrivé à la torréfaction chez Mana ?

Au départ j’étais prof de musique dans une école associative, en Ardèche où j’enseignais la batterie et le solfège aux enfants. Faute de subvention, l’école a fermé, j’ai travaillé chez Quick et ensuite… j’en ai eu rapidement marre alors je suis allé travailler chez Illy, à Lyon, puis chez Mokxa où j’ai commencé comme barista. C’était il y a 10 ans, totalement par hasard. Après un voyage en Australie, je suis revenu en France et j’ai co-monté une torréfaction qui s’appelle Placid, dont j’ai revendu mes parts à mon ancien associé. Et me voilà à Mana, à Aix en Provence !

J’y travaille depuis 4 ans et demi, mais pendant les premières années je m’occupais principalement de Placid. J’allais à Aix tous les week-ends chez Mana comme barista, en plus. La torréfaction, je ne m’en occupe que depuis 6 mois.

Je remarque qu’on arrive souvent dans le café par hasard.

Ah ouais, moi c’est tout à fait par hasard. Avant de bosser à Illy, je n’avais jamais bu un café de ma vie. C’est assez drôle mais quand je suis arrivé à Mokxa, on m’a fait goûté 3 espressos pour savoir ce que j’en pensais. Le premier avait le goût du café, le deuxième avait le goût du café, et le troisième… avait aussi le goût du café. Voilà d’où je viens !

Aujourd’hui, ton quotidien de torréfacteur ressemble à quoi ?

Comme beaucoup de torréfacteurs en France, c’est très multitâches ! Sur une semaine, je travaille 2 jours comme barista, 1 journée est consacrée à la torréfaction et la mise en sac, une autre au contrôle qualité et à l’entretien des machines. Pour le cinquième jour, ça dépend. Soit on a beaucoup de travail en torréfaction, soit je retourne au shop.

En tant que torréfacteur, mon travail commence dès le choix du café vert. Chez Mana, on fait attention à bien isoler le café vert, le protéger d’écarts de températures, mais surtout à travailler en flux tendu pour avoir le moins de café vert possible en stock. Ensuite, je cherche un maximum d’informations auprès des producteurs, en plus de celles de l’importateur. Le but à ce moment est de tracer le café et rendre toutes ces informations transparentes pour le client. C’est quelque chose qui est très important pour moi.

Je suppose que ces informations servent aussi à définir la manière dont tu vas torréfier ce café ?

Oui et non, car chaque torréfaction est un nouveau départ, et je préfère voir ça comme quelque chose de nouveau. Honnêtement, je ne vois pas comment on peut torréfier plusieurs cafés de la même manière. La recherche sur le café vert sélectionné, c’est vraiment pour donner un maximum d’informations aux clients, et aller plus loin que la date de récolte et le process. 

Pas de cahier griffonné avec l’historique de toutes tes torréf’ ?

J’ai un historique, mais pour moi chaque café est une page blanche et l’occasion de repartir de zéro. Je vais prendre 1 profil que j’imagine assez semblable au café que je dois torréfier, mais dès la première torré, je vais goûter et rapidement sortir de ce profil. 

Est-ce que c’est bon ? Est-ce que c’est vendable ? Il faut savoir que la plupart du temps, quand tu travailles avec de bons cafés, le premier jet est correct, même si tout est perfectible. En tout cas, ça permet de définir dans quelle direction je vais aller à la prochaine broche pour m’améliorer. Il n’y a jamais un moment où tu te dis “là c’est parfait, je ne change rien”. 

Concrètement, comment se passe une torréfaction ?

La première chose, c’est de peser pour faire ton batch. Ensuite je vais faire mes broches si elles ne sont pas déjà prêtes. Ensuite j’allume le torréfacteur, je prépare et colle les étiquettes sur les paquets. Quand tout ça est prêt, je peux torréfier. Après, le gros du travail commence : trier les quakers (grains pas assez cuits, ndlr.), mesurer tout ce qui peut être mesuré comme la densité, la couleur… 2 jours après, c’est le cupping pour contrôler la qualité de la torréfaction. 

A partir du moment où le grain est dans le torréfacteur, qu’est-ce qu’il vit ?

Pendant les deux premières minutes, tu es un peu en “invisible” car la sonde de température met un certain temps à se stabiliser et à indiquer la bonne température du grain. Quand la température arrête de virtuellement chuter, on est au “turning point”, puis peu de temps après au point où la température du tambour et celle du grain s’alignent. Le café va continuer de monter en température, et passer de vert à jaune.

Ce point “jaune”, ce n’est pas une température exacte. Ca dépend du torréfacteur, de la taille de ton batch… l’important est de le repérer. Chez Mana, c’est à 166°. Sur toutes mes courbes, je fais donc apparaître un point, le “point jaune”, dès que ma torréfaction atteint 166°, automatiquement grâce à Artisan, mon logiciel de suivi de courbes. 

Au “point jaune” commence la phase de Maillard, pendant laquelle le grain change de couleur avec la cuisson des sucres. Il arrive un moment où le grain atteint le premier crack, qui est une réaction dûe à l’énergie, aux gaz emmagasinés par le grain pendant la cuisson. Pour se libérer, cette énergie fait craquer le grain, puis vient ensuite ce qu’on appelle le moment du développement, jusqu’à la fin de la cuisson.

Une fois dans la phase de développement, c’est le moment de décider du profil de torréfaction, light, medium ou dark ?

Oui et non, parce que beaucoup de choses sont décidées avant, suivant comment le grain est arrivé dans le 1er crack. C’est même plus important que la fin de la torré. Par exemple, tu peux rapidement brûler l’extérieur du grain sans cuire l’intérieur. Si l’extérieur est brûlé, peu importe ce que tu fais ensuite, tu auras le goût d’un dark roast. Au premier crack, la plus grande partie du travail est faite.

Comment tu définis ton style de torréfaction ?

Quand je torréfie, j’essaie de sortir du juicy, du sucre. Je ne cherche pas forcément à sortir des choses très citriques ou florales. Et sinon je suis plus proche du medium roast que du light. Après tout est relatif ! Tout va dépendre, plus que de la couleur, de la manière dont tu approches ton grain, dont tu conduis ta torré. Les miennes durent entre 13 et 14 minutes, ce qui est super long pour certaines personnes.

Une fois la torréfaction terminée, quel est le plus gros défaut que tu peux trouver ?

C’est dur à dire… Un défaut n’est un défaut que selon ton point de vue. Certains vont aimer les cafés brûlés. Est-ce que c’est un problème rédhibitoire ? Si un café est cramé il est possible que certaines personnes y trouvent des notes de chocolat noir et aiment ça. Tout est une question de point de vue.

Tu goûtes souvent d’autres torréfacteurs ?

Ca m’arrive souvent, et la marque est très importante. Je peux te citer plein d’exemples de marques que j’aime, comme Deep Coffee Roasters, à Marseille. Il y a eu un moment en terme de qualité où Deep, je n’étais pas fan bien qu’aujourd’hui ce soit bien meilleur ! Ça ne les a pas empêché d’être top en terme de comm’. Et ça m’a toujours donné envie de leur faire confiance. Tu peux faire du très bon café, mais si tu le vends sur un site tout blanc, dans un paquet tout blanc avec simplement écrit à la main que c’est un café de dingue, ça marchera pas.

Tu as d’autres exemples en tête de torréfacteurs qui mêlent qualité et communication et qu’il faut absolument goûter ?

Pour moi, les meilleurs c’est Seven Seeds (où j’ai travaillé) et Paramount Coffee Project. Ensuite, on peut parler de Go Get Them Tigers, à Los Angeles, qui a une énorme construction autour de la marque et des personnes derrière. En fait, pour n’importe quel torréfacteur, le très bon café devrait être naturel. Par contre, la marque et les gens derrière, les torréfacteurs comme les fermiers, doivent être mis en avant pour faire la différence. J’aimerais qu’on arrive à un point où on est plus obligé de rappeler qu’on fait du très bon café.

Ce que tu regrettes, c’est un besoin de se justifier ?

Exactement, après le développement de marque c’est énormément d’argent. De l’argent que beaucoup de torréfacteurs n’ont pas. C’est comme les coffee shops, les gens qui ont mis de l’argent dans la déco, dans l’ambiance… c’est rare. Deep, c’est encore un très bon exemple, leur shop est magnifique. Avant même de goûter leur café, tu sais que ça va être sérieux en terme de qualité. 

Personnellement, je n’essaye plus de me défendre à dire que je fais du café de qualité. Je sais que je fais du bon café. Quand t’es torréfacteur, il ne faut pas oublier que tu as aussi des attentes beaucoup plus hautes que la plupart des gens, dont ce n’est pas le métier.  Alors, je reste simple, confiant, et efficace dans mon approche et comment je présente le café : le café, même de qualité, ça reste du café !

Quand tu es au shop, comment tu présentes tes cafés ?

Pour moi, la grande erreur du café en France est d’être allé trop loin dans les détails et d’avoir oublier la généralité. En 10 ans, on a fait du café de spécialité un milieu à part et parallèle au café de manière générale. Si tu fais du café de spécialité, que t’en achètes et que tu attends 4 mois, ton café ne sera plus du café de spécialité, c’est devenu du café. Du coup, les gens pensent que c’est différent et on est toujours obligé d’expliquer que c’est du bon café. On est souvent là à raconter ce qu’est un café lavé, de A à Z, pendant 15 minutes. 

Au final, on dit au client que c’est un café qui a le goût de fraise des bois et vanille de la Jamaïque. Et que va retenir le client ? Pas grand chose au final… Il est nécessaire de faire simple, demander ce que les gens aiment simplement : un café floral, un café chocolat ?

Surtout, le café évolue, trois jours après un café n’a plus le même goût. C’est un produit évolutif. C’est pour ça qu’à Mana, les notes sont remises en question régulièrement, et les paquets mis à jour selon l’évolution du café.

Donc quand tu me demandes comment vendre du café à un client, c’est d’abord ne pas entrer dans un truc trop profond d’explications, ensuite se mettre à sa hauteur et enfin travailler l’image de marque autour de l’entreprise qu’est Mana : la simplicité, le soleil, quelque chose de chaleureux, et fait avec amour. 

Ce qui est drôle, c’est que je pensais t’appeler sur la torréfaction et au final, on parle du métier de torréfacteur.

C’est normal, et ça va peut-être en faire chier plus d’un, mais je vois pas ça comme quelque chose de compliqué. C’est plutôt simple si t’achètes du bon café vert. Si t’achètes un café de merde, ah là tu vas galérer. C’est tout le reste qui est complexe : comment le vendre, à qui, pour quoi. 

Après, attention, je te dis pas que je torréfie à l’arrache, mais il est nécessaire de prendre du recul. Ce qui est compliqué, c’est plus la dégustation, l’analyse de ce que tu goûtes pour améliorer ton café et savoir ce que tu vas transmettre au client. 

Aujourd’hui, j’arrive chez Mana. Qu’est-ce que tu veux me transmettre ?

Que le café, c’est pas si compliqué. Que tu peux faire du très bon café sans avoir du matériel de pointe, sans avoir des machines qui coûtent les yeux de la tête. Tout ce que ça demande, c’est des bons produits de base : du bon café, de la bonne eau. Les gens pensent que c’est compliqué, on a marketé le fait que ce soit compliqué pour vendre du matériel. Bien évidemment, tout dépend des attentes mais de manière générale, de la bonne eau et du bon café moulu fraîchement, c’est largement suffisant !