Préparation d'un cupping chez Kawa Coffee
Préparation d’un cupping chez Kawa Coffee

Alexis Gagnaire, comment boire un bon Kawa Coffee ?

De ses débuts comme torréfacteur avec la création de Kawa Coffee en 2016, jusqu’à son podium aux championnats du Monde d’Aeropress en 2019, Alexis Gagnaire a gagné une place de choix dans le paysage français du café de spécialité. Mais jusqu’où ira-t-il pour vous surprendre ?

Salut Alexis, pourquoi avoir choisi de créer une torréfaction plutôt qu’un coffee-shop ?

Au début, on voulait focaliser notre énergie sur la torréfaction, qui est un métier vraiment différent de celui du coffee-shop, de la préparation. Quand tu commences, faire plusieurs choses en même temps c’est prendre le risque de se perdre et on a préféré éviter. 

Aujourd’hui, c’est vrai qu’on pourrait être un peu frustré de ce choix parce qu’il y a une manière de préparer du Kawa. On essaie de faire des torréfactions qui vont pouvoir être travaillées le plus facilement possible. Mais forcément, on a nos habitudes, notre palais et notre manière de voir les choses et ça a des conséquences sur la préparation.

Quelle est la manière idéale de préparer un café de chez Kawa ?

Tous les cafés sont différents, alors je ne sais pas si on peut parler de manière idéale. Mais il y a une chose hyper importante pour l’extraction du café, c’est l’eau ! Pour notre part, on a une préférence d’eau autour de 85ppm. Pour y arriver, je conseille à tout le monde d’investir dans un TDS à 30€, d’acheter plusieurs eaux et de réaliser des mélanges pour y arriver. Ce paramètre conditionne tout sur ta préparation, si tu as une eau avec beaucoup de minéraux, tu ne prépares pas ton café de la même manière.

Ensuite, la température idéale se situe entre 91 et 95°c. Plus le café est torréfié light, et plus il faut tendre vers 95°c voire plus. Au contraire, plus il est torréfié “medium” et plus il faut descendre. Chez nous, par exemple, on a un café du Panama, le Drima Zede, qui s’extraie très facilement. Pour celui-là, je conseille de descendre à 90°c et d’avoir une extraction rapide, pour avoir le plus de fruits possible avec ce café.

Enfin, on peut conseiller une petite recette simple en V60 pour gâcher le moins de café possible avant de trouver la bonne recette. Utiliser 13g de café pour 215ml d’eau, et éviter les extractions avec une chambre trop remplie. 

Tu penses que le torréfacteur doit donner les recettes de chaque café ? 

Pour moi, il faut essayer de s’affranchir des recettes et mettre en avant certaines règles. Quand on donne une recette, on ne sait pas quelle eau vous utilisez à la maison. Il faut quand même aider les gens, mais les recettes manquent d’explications, ça peut faire peur. C’est mieux de prendre conscience de ce qui joue sur le résultat, de travailler les sensations pour améliorer son brew et sortir des idées préconçues. Par exemple, pour un client que je forme, je suis monté à 100°c sur sa machine La Marzocco pour que ça rende bien, ce que les recettes de base ne conseillent jamais.

D’ailleurs, c’est important d’avoir des torréfactions spéciales pour l’espresso et pour le filtre ?

On a une conviction, c’est que les propriétés de certains cafés les rendent meilleurs en espresso ou meilleurs en filtre, et la torréfaction doit respecter ça. Néanmoins, il y a aussi des cafés qui sont bons pour les deux méthodes.

On a un café du Brésil au catalogue, tu le bois en filtre, c’est bon. Mais c’est pas non plus un café dingue. Tu as un goût agréable, sur le côté noisette comme beaucoup de cafés de basse altitude. Tu le fais en espresso, là tu te prends une claque monumentale, il explose, mais je n’arrive pas à savoir pourquoi.

En tout cas, quand on fait un profil de torréfaction, on pense d’abord à l’intérêt du café, à faire en sorte qu’il s’exprime le mieux possible, pas à la méthode. C’est au café de dire s’il est vraiment meilleur pour l’une ou l’autre des méthodes, et pas à la torréfaction de le décider. Pour moi il n’y a pas de règles en fait, à part celle d’attendre quelques jours après la torréfaction pour goûter un café, parce qu’un café a besoin de dégazer après la cuisson. 

Quand faut-il commencer à préparer et boire un café par rapport à la date de torréfaction ? 

Encore une fois, tout dépend du café. On a créé un guide des pics aromatiques de nos cafés, dans lequel on explique par exemple qu’il faut attendre un certain nombre de jours selon le type de café dont on parle, s’il s’agit d’un assemblage espresso ou d’un café pur origine pour filtre. Mais il faut préciser que ces règles ne s’appliquent qu’à notre style de torréfaction et au fait que l’on torréfie sur un Loring, avec lequel le café demande un long temps de dégazage et va à l’encontre des dogmes sur la fraîcheur. Si tu torréfies sur un Probat, ça n’aura rien à voir.

Pourquoi tant de différences entre les torréfacteurs ?

Scientifiquement, je n’en sais rien. Mais l’explication la plus logique, c’est la manière dont cuit le café, comme l’expliquent les livres de Scott Rao. Par exemple, sur un Probat, un café cuit de 50 à 70% par conductivité (à l’extérieur du grain), 30 à 50% en convection (à l’intérieur). Alors que c’est l’inverse sur un Loring, et tu peux le voir après la torréfaction, quand tu croques un grain. 

Sur une torréfaction Loring, le grain est plus torréfié à l’intérieur, sa surface est claire ou tendue. C’est ce qui explique pourquoi il faut attendre plus longtemps avant de préparer un café torréfié sur un Loring, car le café dégaze moins vite. Alors qu’un grain plus cuit sur l’extérieur a une surface dilatée, qui a craqué, ce qui permet au gaz de s’échapper plus facilement.

Tu parles des livres de Scott Rao, c’est avec eux que tu as appris la torréfaction ?

J’ai démarré chez Beans on Fire, qui étaient très “Scott Rao”. Ensuite, j’ai tout fait en autodidacte et depuis un an et demi, j’ai pris le pas d’échanger avec d’autres torréfacteurs et de me former en continu, principalement au contact de torréfacteurs qui torréfient sur un Loring, comme moi. 

Après, ce qui a vraiment changé pour moi c’est le Q-Grading. Je l’ai passé pour faire un bilan, voir si j’étais à la ramasse ou pas. À l’époque j’avais ce sentiment d’être un peu jeune, pas assez légitime pour affirmer mon style de torréfaction. Avoir réussi au Q-Grading, ça ne m’a pas fait prendre le melon non plus, mais ça m’a donné plus confiance  pour assumer mes idées et avoir mes propres convictions sur le café. J’aime quand un café est expressif, moins les cafés trop subtils qui perdent les gens parce que je veux rendre le café accessible et lisible par tous.

Pour la confiance, la troisième place des mondiaux Aeropress à Londres, en 2019, ça aide aussi ?

Oui, et ça a aidé Kawa aussi dans sa globalité. Les compétitions permettent toujours de t’améliorer. Mais il y a aussi le fait que notre équipe s’est agrandie, ce qui est toujours mieux pour partager, s’améliorer et aussi critiquer ce que l’on fait. Clairement, après les mondiaux, les gens ne nous ont plus vu de la même manière. On a aussi commencé à torréfier de meilleurs cafés. 

C’est aussi ce concours qui m’a fait prendre conscience de l’importance de l’eau. Avec un Aeropress, il n’y a que l’eau qui compte, en vérité. Ça fait 4 ans que les gagnants viennent avec la même recette, la seule chose qui change c’est l’eau, ton palais et connaître les juges.

Tu le referais ? 

Non, mais j’ai vraiment envie de coacher quelqu’un par contre. Je pense sincèrement que s’il y a une personne hyper motivée, on peut l’amener sur le podium avec Kawa. Avoir participé c’est une expérience qui t’aide beaucoup, c’est d’ailleurs pour ça que tu vois souvent les mêmes personnes gagner. Des gens bien entourés, qui se posent les bonnes questions.

Et puis il ne faut pas avoir peur d’être un robot, le jour même de la finale à Londres j’ai dû préparer 30 ou 40 Aeropress. J’ai fait une belle place, j’en suis hyper content, mais ce qui m’intéresse le plus, c’est la recherche, pas d’avoir une médaille autour du cou. 

En tout cas, j’ai aussi l’impression que ça a changé l’image de Kawa auprès de passionnés de café de spécialité.

Oui, aujourd’hui on a une sélection très geek, qui plaît à ces personnes. C’est aussi parce que j’ai passé beaucoup de temps à dénicher un maximum de café, j’ai dû goûter plus de 500 cafés cette année. Mais l’idée est avant tout de montrer le champ des possibles du café, montrer qu’il y a des cafés incroyables avec des fermentations fascinantes et les faire découvrir. 

On fait attention à sélectionner des cafés qui vont toucher un maximum de gens, comme par exemple le Paraiso de Diego Bermudez. Les plus pointus ne l’apprécient pas forcément, par contre c’est incroyable pour ceux qui ne connaissent rien au café.

J’ai pu goûter ce café, il a un goût de dingue mais je me suis toujours demandé s’il était vraiment naturel.

C’est une question sur laquelle on est ouverts, quand c’est assumé. Le café de Diego Bermudez a été testé en laboratoire, et les résultats indiquent qu’il est 100% naturel. Alors soit c’est le plus gros des menteurs, soit c’est un génie. Pour en avoir parlé avec lui, je pense que c’est un génie, mais je trouve aussi qu’il peut présenter des cafés qui ont l’air synthétique et “fake”.

Récemment, il a sorti un truc avec des notes de menthe poivrée, que j’ai goûté, c’était ouf. Mais c’était trop pour moi ! Ce lot est parti très cher, mais là c’est aussi une question de goût. Le Paraiso est la limite pour moi. 

Il y a aussi chez Kawa des origines que l’on a pas l’habitude de voir, comme les cafés de Chine. Qu’est-ce qui te plait dans ces cafés ?

C’est un peu comme les fermentations, ce qui me plaît est de travailler des origines méconnues, de suivre leur évolution. Le café chinois que l’on a au catalogue, le Lafu, est bon mais c’est assez classique, avec des notes de sucre de canne. On a failli prendre des cafés de Myanmar, et on a récemment sélectionné un café d’expérimentation d’Ouganda cultivé par un ancien professeur des écoles au Canada. Quand il y a des nouveaux pays, on est toujours prêts à prendre le pari pour découvrir et faire découvrir à nos clients de nouvelles origines.